Femmes : Juillet 2017

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3 2017 30 Contact : Sophie Berger. Tél. : 79 56 36 Mail : sophie.berger@lnc.nc Rejoignez Femmes sur Facebook : Femmes mag 4 Actus - Miss Nouvelle-Calédonie 2017 en mode années folles ! 8 L’invitée - Emmanuelle Merlo du Cercle nautique calédonien 10 Adieu Madame Veil 13 People 14 Dossier - Faire cesser les violences faites aux femmes 24 Couple - Anniversaires de mariage : Be a bride for ever 26 Nos gosses - Coups de crayon : les gosses, c’est l’usure ! 28 Shopping 30 Mode - Spécial bijoux 44 Minute beauté - Tresses intemporelles 46 Yoga - Salutation au soleil 48 Coaching - Le foam roller, quesaco ? 50 Question santé - Une liste cosméto positive 52 Déco - Le style minimaliste 58 Cuisine - Pains spéciaux & soupes maison 62 C ulture 64 Horoscope 66 Nos adresses Prochaine parution du magazine Femmes : mardi 1er août FEMMES Juillet

ACTUS Miss Nouvelle-Calédonie 2017 en mode années folles ! Qui sait, la future reine de beauté du Caillou sera peut-être aussi la prochaine Miss France, à l’image de Pascale Taurua, choisie en 1978 pour monter sur le trône. Traditionnellement organisée dans la région de l’heureuse élue - un territoire trop éloigné cette année concernant Alicia Aylies, Miss Guyane - la grand-messe aura lieu en décembre à Châteauroux, dans le centre de la France. En attendant, chez nous, neuf candidates, âgées de 18 à 22 ans, convoitent la couronne de la Bouraillaise Andréa Lux, notre Miss 2016. La soirée strass et paillettes de l’élection Miss Nouvelle-Calédonie 2017 est prévue samedi 19 août à l’Arène du Sud de Païta. Et c’est le 40e anniversaire du concours ! Pour fêter ça, le comité organisateur annonce la couleur avec un thème ambitieux, les années folles, et une superbe affiche officielle : les modèles arborent le style des années 20, avec la lune en toile de fond, symbole de féminité. Saviez-vous que c’est précisément pendant les années folles, marquées par la joie de vivre après la terrible Grande Guerre, que l’émancipation des femmes a commencé ? La Parisienne est devenue une égérie intemporelle et Paris la capitale mondiale de la haute couture. La mode, la mode, la mode Merci la mode, la mode, la mode… Le couturier Paul Poiret a libéré nos corps du corset, objet de torture asservissant qui entravait la respiration, la digestion et la circulation sanguine : les muscles atrophiés ne pouvaient même plus s’en passer pour assurer le maintien d’une posture normale. Finie donc cette taille de guêpe imposée pendant des siècles qui déformait nos organes internes, juste pour mettre en avant la poitrine et les fesses, rondeurs domestiquées pour les seuls fantasmes des hommes. L’air et le sang circulent de nouveau dans le corps des femmes. On veut danser, fumer, se maquiller. L’industrie cosmétique se démocratise. Robes tubulaires, tailles basses et jupes de plus en plus courtes apparaissent. La petite robe noire de Coco Chanel fait un tabac et on enfile bientôt le pantalon, officiellement réservé aux hommes à l’époque. Enfin, la scandaleuse garçonne pose un véritable acte politique avec sa coupe au carré : en 1925, une femme sur trois fait ce choix ! À la conquête de nos droits En fait, doucement mais sûrement, nous sommes en route pour la conquête de nos droits ! Car en 1920, la contraception est encore interdite et l’avortement un crime aux yeux de la loi. Les femmes ne peuvent pas travailler sans l’autorisation de leur mari et restent donc majoritairement confinées à la maison. Le droit de vote est encore loin (1945). Ainsi, un concours de Miss sur le thème des années folles relève du défi, tant l’événement est aujourd’hui ringardisé et critiqué par les féministes. Alors le jour J, devant la télé, on expliquera bien à nos petites filles qu’elles n’ont pas besoin d’être grandes et minces pour réussir et que les Miss valent plus qu’un diadème et une écharpe. Et nous, on attend toujours l’élection de Mister Nouvelle-Calédonie… Elodie Lanfroy 4 Années folles ! Voilà le thème retenu par le comité Miss Nouvelle-Calédonie pour le 40e anniversaire du concours. On adore l’idée !

ACTUS La créativité des femmes mise en valeur Une nouvelle boutique Nespresso Nespresso a ouvert depuis le 1er juillet une nouvelle boutique en centre-ville. Les spécialistes du café y guident les clients entre les différentes variétés de grands crus et initient ceux qui le souhaitent à l’art de la dégustation du café. Un espace recyclage est également ouvert au sein de la boutique permettant la collecte des capsules usagées et leur traitement dans une unité de recyclage adaptée. L’offre produits a également été repensée avec 24 grands crus ainsi que des séries limitées. Enfin, jusqu’au 31 août, la boutique propose « l’éveil des sens Nespresso » les mardis, jeudis et samedis de 7h30 à 9h30 : des rendez- vous permettant une découverte de la nouvelle boutique et de ses services autour d’une collation. 33, rue de Sébastopol. Ouvert du lundi au vendredi de 7h30 à 17h30. Parking Higginson, 30 minutes gratuites. 6 Pour sa 2e édition, le Club Soroptimist de Nouméa organise son grand Salon Talents de femmes pour mettre en valeur la créativité des artistes féminines de Nouvelle-Calédonie du 21 au 23 juillet à la Maison des artisans. Durant trois jours, venez découvrir les talents féminins du territoire sur le thème Natur’Elles dans les domaines de la peinture, la sculpture, la céramique, les textiles, la vannerie, la mode, la gravure, la musique… Ce Salon offre une importante visibilité et une reconnaissance des femmes dans toute la palette et la diversité de leurs arts. L’objectif étant aussi de leur permettre de rémunérer leur travail dans le cadre d’un partenariat équitable. La diversité des cultures, des langages, des paysages et des végétaux nourrit la créativité. Ce rendezvous incontournable des passionnés de l’art et de la création vous permettra également de découvrir et de soutenir les actions du Soroptmist. Remise de prix, tombola, danse, salon de thé, restauration, démonstrations, viendront animer ces trois jours, autour des stands des exposantes à la Maison des artisans à Nouville. Du 21 au 23 juillet, à la Maison des artisans.

ACTUS 8 Connue pour ses exploits en tant que navigatrice, Emmanuelle Merlo du Cercle nautique calédonien a également su mener sa barque dans le domaine de l’enseignement. Figure emblématique de la voile calédonienne au féminin, elle comptera parmi les coureuses de la No Woman No Sail au départ de Nouméa, les 29 et 30 juillet prochains. « Tant qu’il y a du soleil et du vent »

À l’écouter parler, il ne faut pas plus de quelques secondes pour comprendre qu’Emmanuelle Merlo dite « Manu » entretient un rapport passionnel avec la mer. Rien ne la prédestinait pourtant à la navigation. Emmanuelle Merlo naît à Sarcelles dans la région parisienne. Fille d’un militaire de carrière, elle arrive sur le Caillou à l’âge de huit ans avec sa famille au début des années 80. C’est ici qu’elle ressent instantanément l’appel du large et s’oriente rapidement vers la voile. La petite Manu fait ses premières armes sur l’eau, au club de la Société des Régates Calédoniennes (SRC), un club convivial, pas trop axé sur la performance. « On était déjà une bonne petite bande, on faisait tous de l’Optimist, le dériveur d’apprentissage par excellence et on se tirait déjà la bourre ! », lance-elle dans un éclat de rire. C’est dans ses années de jeunesse que Manu tisse son réseau d’amis « voileux » comme elle les appelle, y compris Nicolas, l’homme qui partage aujourd’hui sa vie et père de ses deux filles. Un milieu « à part » qu’elle ne quittera plus. « Pour moi le milieu de la voile est devenu une famille, assure-t-elle. Quels que soient nos supports de navigation, nous avons tous le même esprit et la même envie d’être sur l’eau. » C’est à l’âge de douze ans qu’Emmanuelle participe à sa première grande compétition lors de la Semaine internationale de la voile en 1983. « Le plus fort moment de ma jeunesse, se souvient-elle. Je naviguais sur Optimist et c’était très excitant de rencontrer des navigateurs étrangers. » Cette régate lui donne le goût de l’effort et le désir d’en apprendre davantage sur ce sport qu’elle aime tant. De la plaisance à la compétition Entière, fonceuse et passionnée, Emmanuelle aurait aisément pu faire carrière dans la voile mais, à cette époque, les pôles « espoir » n’étaient pas aussi répandus qu’aujourd’hui. Elle passe néanmoins son diplôme de monitrice à l’âge de 17 ans et rejoint les bancs de l’École Normale de Nouméa. La jeune femme obtient son diplôme d’institutrice, couronnement de trois années d’études. Ce diplôme va lui permettre de mener une activité d’enseignante à Lifou pendant neuf ans, parallèlement à son parcours de navigatrice. « Avec mon mari nous étions si mordus de voile que nous revenions pratiquement tous les week-ends à Nouméa pour participer à des régates. » Après une première traversée vers l’Australie sur un dériveur monotype, l’insatiable navigatrice nourrit des envies d’ailleurs. S’il existe bien des équipages mixtes, il est plutôt rare que des hommes choisissent d’embarquer une femme pour les compétitions. « À un moment il a fallu qu’on s’organise entre filles pour pouvoir prétendre à faire de la course de haut niveau. Nous avons dû prouver à la Ligue qu’on pouvait faire du championnat, précise Emmanuelle. Ça nous a pris du temps mais on a fini par constituer trois équipages féminins et c’est ainsi que nous avons pu obtenir des budgets pour nos déplacements. » De plaisancière Emmanuelle devient peu à peu compétitrice sur Hobie Cat et découvre la Hollande, la Guadeloupe et Tahiti à la voile. Une rencontre avec Martine Chollet, autre figure emblématique de la voile féminine en Calédonie, va lui permettre de réaliser un rêve : participer aux championnats du monde de 1998 à Airlie Beach en Australie. « Une des grandes fiertés de mon vécu de sportive », se remémore-t-elle. Soutenu par Philippe Mazard, ancien président de la Ligue calédonienne de voile, l’équipage 100 % féminin avait en effet terminé troisième, un score entré dans les annales qui a depuis ouvert la voie à d’autres navigatrices. Malgré son petit gabarit, Emmanuelle a l’étoffe d’une championne olympique. À son actif, trois participations aux Jeux du Pacifique, en 1987 à Nouméa, 1999 à Guam (médaille d’or par équipe dames sur Laser) et en 2003 aux Fidji (médaille d’argent par équipe dames sur Laser). Après ces exploits, la skippeuse s’éloigne un temps de la compétition pour donner naissance à ses deux filles. La famille Merlo rentre de Lifou en 2005. « Ça a été difficile pour nous de nous réhabituer à la ville. On s’est donc dit qu’habiter sur un bateau nous permettrait de retrouver l’espace et la liberté qu’on n’a pas forcément à Nouméa ». Dès 2007, elle revient à sa passion première, la course, dans une formule particulière de régate, « le match racing ». Il s’agit d’un affrontement à armes égales sur l’eau à un (bateau) contre un (bateau). En 2012, elle concourt en Nouvelle-Zélande sur le « Women Keel Boat Championship » sans parvenir à s’imposer. L’année suivante, à la surprise générale, elle ne passe pas très loin du podium en terminant 5e. Forte de cette expérience, Manu comprend de mieux en mieux l’essence même de son sport. « J’ai appris la voile à la dure et lorsque je suis passée à la barre, je me suis mise à gueuler à mon tour. Or, lorsque tu fais de la compétition, tu apprends à être patient et à cultiver le calme, confie-t-elle. Seule, c’est toujours plus facile mais quand on navigue par équipe, il faut apprendre à composer… » Si Emmanuelle n’a pas fait carrière dans la voile, on sent pourtant qu’elle vibre totalement au contact de l’eau. À quelques jours du top départ de la « Ladies nav », la skippeuse nous fait toucher du doigt un peu de ces plaisirs élémentaires qu’on découvre en mer. Pour elle, le bonheur c’est simple comme ancrer son bateau aux abords d’une baie tranquille, un thon au bout de la ligne. « Tant qu’il y a du soleil et du vent », dans un dialogue direct entre elle et la nature, tout est à sa place. Manu se sent libre, vivante. n Texte et photos : Aude-Émilie Dorion ACTUS 9

À 16 ans, Simone est arrêtée par la Gestapo dans les rues de Nice, alors qu’elle vient juste de terminer les épreuves du Bac… Elle avait décidé d’aller fêter ça avec un camarade… Déportée dans l’enfer d’Auschwitz, elle en revient exsangue et orpheline. Mais, seulement quelques mois après la Libération, elle s’inscrit à l’Institut d’études politiques de Paris. Elle y rencontre Antoine Veil : Simone Jacob devient Simone Veil. Pendant plusieurs années, elle reste à la maison. Elle suit Antoine en Allemagne où il obtient un poste et s’occupe de leurs trois garçons. Antoine est un homme bon mais un homme de son époque : avant 1965, les Françaises n’avaient pas le droit d’exercer une activité professionnelle ou d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari. Antoine ne veut pas que Simone travaille. Être indépendante Être indépendante, avoir un métier : voilà ce que sa mère voulait pour elle. Simone Veil adorait sa mère, morte en camp de concentration. « C’est la personne qui a le plus compté dans ma vie, je n’ai jamais pu me résigner à sa disparition, » confiera-t-elle. Peut-être au nom de sa mère, elle passe donc un pacte avec Antoine : elle renonce à sa vocation d’avocate mais passe le concours de la magistrature. En 1956, à 27 ans, elle devient magistrate. Pendant sept ans, elle travaille dans l’ombre du ministre de la Justice sur les conditions de détention, notamment des prisonnières algériennes. En 1964, elle s’occupe plus particulièrement des problèmes d’adoption. Et en 1970, elle devient secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature. En 1974, elle soutient le candidat Valéry Giscard d’Estaing face à François Mitterrand pendant la campagne présidentielle. Devenu président, VGE la nomme ministre de la Santé. C’est la première femme à obtenir un tel poste. Elle a alors 47 ans. Contraception et IVG Simone Veil commence par libéraliser la contraception le 28 juin 1974 et, le 26 novembre 1974, elle présente devant l’Assemblée nationale son fameux projet de loi sur la dépénalisation de l’avortement. À l’époque, 300 000 femmes avortent chaque année en risquant six mois de prison et, pour celles qui n’ont pas les moyens 10 N’oubliez pas son regard perçant : survivante de la Shoah, l’ancienne ministre Simone Veil nous a permis de contrôler notre maternité et de croire au rêve européen. Elle s’est éteinte le 30 juin dernier. Simone Veil Que l’icône repose en paix ACTUS

Simone Veil (13 juillet 1927 – 30 juin 2017) d’aller à l’étranger, la mort : une femme en meurt chaque jour. « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame, cela restera toujours un drame. » Son discours touche des milliers de femmes. « Je n’ai jamais ressenti autant de haine, une vraie haine, une haine qui veut tuer », confiera-t-elle dans une interview en 1999 à propos des débats qui dureront 25 heures. Simone Veil est victime d’intimidations et de menaces pendant des mois. Pourtant issus de sa propre majorité, des députés la traitent de « nazie » et poussent l’indignité jusqu’à comparer l’avortement à la solution finale, réveillant ses souvenirs de déportée et une indicible souffrance, « au-delà des larmes », expliquera-t-elle plus tard. Mais Simone Veil ne lâche rien. Et l’emporte. Grâce à son autorité naturelle, la maternité devient un choix pour les Françaises. En outre, elle fait adopter la loi d’orientation sur le handicap, la première du genre. Cette loi-cadre tiendra trente ans, puisque la suivante ne sera votée qu’en 2005 ! Espérance européenne En 1979, Simone Veil a 54 ans et VGE voit en elle le symbole de la réunification franco-allemande, pouvant définitivement tourner la page des guerres mondiales. Elle est élue présidente du Parlement européen. Première femme à occuper la fonction, elle sera réélue en 1984 et en 1989. En 1993, elle est nommée ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville dans le gouvernement dirigé par Balladur. Mais l’Europe est le plus grand combat de sa vie. L’effondrement du mur de Berlin serait même son souvenir le plus émouvant. Pendant treize ans, elle occupera donc différentes fonctions au sein du Parlement européen. À propos de l’Europe, elle a déclaré : « Quand je regarde ces soixante dernières années, c’est ce que l’on a fait de mieux. » En 1998, Simone Veil entre au Conseil constitutionnel pour neuf ans, où elle s’occupe de la primauté du droit communautaire européen sur la législation française. Immortelle En 2010, à 82 ans, elle entre à l’Académie française, au fauteuil numéro 13, celui de Racine, un des auteurs préférés de son père. Sous la Coupole, elle pense à ses parents qui auraient été tellement fiers. Dans son discours, elle parle d’Europe, citant Victor Hugo qui, lui-même élu à l’Académie en 1841, avait ébauché le projet d’une Union européenne fondée sur ce qu’il est convenu aujourd’hui de nommer le couple franco- allemand : « La France et l’Allemagne sont essentiellement l’Europe. L’Allemagne est le cœur, la France est la tête. Le sentiment et la pensée, c’est tout l’homme civilisé. » Sur son épée d’immortelle, Simone Veil a fait graver plusieurs symboles : l’attache du fourreau représente un visage de femme souriant, rappelant son engagement en faveur de la cause des femmes. «Liberté, Égalité, Fraternité», la devise française. «Unie dans la diversité», la devise européenne… Deux mains enlacées, sur la fusée, évoquent la réconciliation entre les peuples et des branches d’olivier, sur la main du haut, représentent la vie et la paix. Numéro 78 651 Sur la main du bas de l’épée, les flammes des fours crématoires et, sur l’autre côté de la garde, le nom du camp d’extermination de Birkenau. Sur la lame : 78 651, son numéro de déportée à Auschwitz-Birkenau. Ce tatouage sur son bras, elle l’a gardé toute sa vie pour affronter chaque jour le souvenir des camps. Faire vivre la mémoire de la Shoah, coûte que coûte. Alors qu’elle place dans la construction européenne une espérance sans limite, pas question de pardonner : « Ce n’est pas à moi de pardonner la mort de six millions de Juifs. » En 2004, devenue une vieille dame, Simone Veil est revenue à Auschwitz, accompagnée de ses petits-enfants. Elle a retrouvé les baraquements où elle avait survécu avec sa sœur Milou, l’unique témoin d’un drame insondable qu’elle perdra plus tard dans un accident de voiture. « Une brisure irrémédiable, » selon son fils. Simone Veil n’a pas reconnu le ciel bleu, autrefois plombé par la fumée des fours crématoires. Elle s’est rappelée l’odeur des corps brûlés, l’épuisement, la faim, le manque de sommeil, les humiliations, les cris, la peur. Il faisait froid en 2015, le jour des commémorations. Elle s’est demandé comment ils faisaient, comment ils avaient pu tenir. « J’ai le sentiment que le jour où je mourrai, c’est à la Shoah que je penserai », avait-elle confié. Le 30 juin 2017, Simone Veil s’est éteinte, à l’âge de 89 ans. Sa place est au Panthéon. Elodie Lanfroy Loi Veil : 25 ans de retard pour le Caillou ! Votée en 1974, la loi Veil légalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) sous l’unique volonté de la mère, est entrée en vigueur en 1975. Mais il a fallu attendre 1979 pour qu’elle soit définitivement appliquée. Le rembour- sement de l’IVG par la Sécurité sociale a été voté fin 1982. Enfin, le délai légal pour pratiquer une IVG est passé de dix à douze semaines de grossesse en 2001. Mais ça, c’est pour la Métropole… Incroyable mais vrai : sur le Caillou, les femmes ont dû attendre 25 ans de plus ! La pratique de l’IVG n’a été légalisée qu’en 2000, dans un cadre comparable à celui de 1975 en Métropole. Ce n’est qu’en 2008 que les conditions légales de réalisation de l’IVG sont devenues comparables à celles de la Métropole. ACTUS 11

Kheris Rogers, une petite Américaine de 10 ans a réagi de la meilleure des manières après avoir été victime d’intimidation à l’école à cause de sa couleur de peau. Si l’enfant a d’abord été blessée par les propos de ses camarades et a commencé à détester sa peau, elle a très vite compris que le problème ne venait pas d’elle… Ainsi Kheris a appris à être fière de sa peau et a décidé de créer sa propre ligne de vêtements afin d’encourager d’autres enfants victimes d’intimidation à l’école. Tout a commencé par une photo postée par sa sœur sur les réseaux sociaux, accompagnée du hashtag « Flexin in complexion » qu’on pourrait traduire par « fière de sa couleur de peau ». En l’espace d’un instant, la photo a été repostée plus de 30 000 fois. Ont suivi de nombreux messages de soutien qui ont encouragé la petite fille à créer une collection de vêtements visant à aider les femmes et les enfants noirs à se sentir bien dans leur peau. Depuis Kheris a lancé son propre site internet où l’on retrouve toute sa gamme de t-shirts imprimés, très mode. PEOPLE Il nous la faut ! PUB 13 Chemises hawaïennes, shorts et chaussettes seront de mise pour 2018, annoncent les défilés de mode masculine qui se sont achevés le 26 juin à Paris, marqués également par les tendances récurrentes du sportswear et des années 1980. Au moment où, en pleine canicule, des conducteurs de bus français et des écoliers anglais protestaient, en jupes, contre l’interdiction de porter bermudas ou shorts, les mannequins ont pu sereinement aérer leurs jambes sur les podiums parisiens. L’estivant 2018 n’hésite pas à dévoiler mollets, genoux et parfois cuisses. Dries Van Noten propose bermudas et shorts dans des couleurs rétro, avec des chaussettes et des boots. Version Dior, le microshort s’accompagne de bottines mi-chaussures de sport, mi-Rangers, et contraste avec l’esprit tailleur d›une veste de costume ajustée, avec ou sans manches. Une fièvre tropicale s’est emparée des designers : la chemise hawaïenne était la reine des défilés. Louis Vuitton la décline en organza, superposée à une autre en dessous, pour des effets de transparence et de brillance. Palmiers et couchers de soleil criards sont au rendezvous chez Balenciaga, pour un esprit rétro kitsch assumé. Les mêmes paysages paradisiaques se retrouvent sur des chemises, blousons et vestes de Paul Smith. Coup dur pour Heidi Klum, le Daily Mail a dévoilé des photos de son petit ami, Vito Schnabel, très proche d’une autre femme. Il y a quelques jours à Londres, le marchand d’art a été surpris à la sortie d’une soirée en compagnie d'une jolie brune. S'ils sont rentrés chacun de leur côté à leur hôtel après avoir partagé ensemble une partie du trajet en taxi, un cliché a semé le trouble et a déclenché une polémique dans la presse anglosaxonne. Assez pour que Vito Schnabel se sente obligé de réagir. En même temps, la photo prise dans le taxi publiée par le Daily Mail avait de quoi faire douter sur la nature de la relation du petit ami d’Heidi Klum avec cette mystérieuse jeune femme. Dans un communiqué publié sur People, il a clarifié la situation : « Les allégations qui ont été faites sont une mauvaise interprétation d’une situation totalement innocente. » DIADERMINE, N°1 des crèmes anti-âge, met son expertise dermatologique au service des femmes. Aujourd’hui, sa gamme LIFT + s’enrichit avec son nouveau soin visage SUPER CONTOUR. Appliquez quotidiennement la crème de jour LIFT + SUPER CONTOUR pour adoucir et redé- finir l’apparence des contours de votre visage. Pour un résultat complet, le soin de nuit LIFT+ SUPER CONTOUR stimulera la production naturelle de protéines lissantes cutanées pour resculpter les angles faciaux. Adapté à tous types de peau, normale, sèche ou sensible, DIADERMINE vous offre votre nouvel allié beauté ! FASHION WEEK PARISIENNE SOUS LE SIGNE DES TROPIQUES HEIDI TROMPÉE ? Sources : au féminin, AFP © CreativeSoul Photography À SEULEMENT 10 ANS ELLE CRÉE SA LIGNE DE VÊTEMENTS POUR DIRE STOP AU RACISME

14 dossier Faire cesser la violence Il y a ces femmes des îles qui quittent la tribu et prennent le bateau, direction Nouméa... où d’autres femmes, d’avocat, de médecin, de chef d’entreprise, dorment parfois dans leurs voitures. Le Caillou est champion de France en termes de violences faites aux femmes dans le couple. Chez nous, le taux déclaré de violences physiques et sexuelles est sept fois plus élevé qu’en Métropole et dans tous les autres départements et territoires d’outre-mer. Elodie Lanfroy

15 DOSSIER Une Néo-Calédonienne sur quatre subit une forme de violence au cours de sa vie. Un autre chiffre, terrible : 12% d’entre elles sont victimes d’abus sexuels, attouchements ou viol, avant l’âge de 15 ans. 95% de ces victimes ne contactent pas la police. Ces chiffres 1 qui datent du début des années 2000 doivent être mis à jour, grâce à l’extension à la Nouvelle-Calédonie de la fameuse enquête scientifique VIRAGE menée en Métropole sur les violences et rapports de genre. Même si la classe politique a maintenant conscience de l’ampleur du phénomène des violences faites aux femmes, Nicole Robineau, présidente de la commission des droits de la femme et de la famille au Congrès et à la province Sud, déplore une stagnation inquiétante ces dix dernières années : « D’où que ça vienne, il faudrait que des idées originales émergent ! Quel que soit le parti politique, on s’en fiche, la cause des femmes doit dépasser les querelles de clocher. Même les associations de femmes doivent se renouveler. Il faut agir. » Révolution CAUVA Ainsi, une mesure phare du plan triennal de la province Sud doit révolutionner la prise en charge des victimes de violences d’ici à la fin de l’année : le CAUVA (Centre d’accueil d’urgence des victimes d’agressions) au cœur du Médipôle, inspiré d’une cellule spécialisée de l’hôpital de Bordeaux, unique en France. Il permet une prise en charge rapide des victimes d’agressions, sur tous les plans en même temps - médical, social, psychologique - au même endroit, avec tous les spécialistes réunis : médecins légistes, psychologues, assistantes sociales, infirmiers, associations d’aide aux victimes. La procédure judiciaire s’en trouve facilitée, avec la possibilité de prendre les dépôts de plainte directement sur place. Bureaux d’aide aux victimes Déjà, dans les murs du commissariat central et du tribunal de Nouméa, des « Bureaux d’aide aux victimes » (BAV) permettent en partie de remédier au manque de coordination des différentes structures, souvent pointé du doigt. La capitaine Sylvia Chabale et l’assistante sociale Laurence Grangeon se partagent l’accueil des victimes 2 au BAV du commissariat central. « Dans le cas des violences conjugales, on est souvent face à des femmes qui veulent dénoncer mais pas porter plainte, par peur de représailles ou de précarisation. C’est un long parcours, explique Laurence Grangeon. Mais on les accompagne, avec tout un réseau, en particulier le Relais de la province Sud, une structure vraiment incontournable, le foyer Béthanie, le personnel médico-social et l’Adavi. » L’Adavi est une association pour l’accès au droit et l’aide aux victimes 3. Elle offre, au sein du tribunal, des permanences juridiques et psychologiques. Catia Dantu, juriste à l’association, insiste : « On est devenu proactif. Maintenant, on contacte toutes les victimes qui ont une audience fixée en correctionnelle pour violences. C’est une grande avancée. » Cependant, la responsable de la structure, Janie Malia-Buso, regrette une baisse de moyens alors que la demande d’accompagnement judiciaire ne cesse d’augmenter : « Nous avons reçu 806 personnes 4 en 2009 et 1 944 en 2016... Il y a dix ans, jusqu’à cinq juristes travaillaient à l’Adavi, alors que maintenant, ils ne sont plus que deux. » Auteurs Il faut aussi répondre aux aspects pratiques : en attendant l’audience, l’éviction du conjoint n’est pas souvent ordonnée par les magistrats, et c’est la victime qui se retrouve évincée de son domicile. Le foyer Béthanie, normalement spécialisé dans l’hébergement d’urgence, serait toujours plein à craquer. En attendant des solutions à plus long terme, misant notamment sur l’insertion par l’activité, Nicole Robineau annonce l’ouverture prochaine d’un foyer spécialisé pour les agresseurs, alternative à la prison. Une prise en charge des auteurs donnerait d’ailleurs des résultats en matière de récidive, selon Laurence Grangeon : « Bien sûr, on n’est pas dupe, certains auteurs ne le font que pour alléger leur peine... Mais d’autres sont dans une démarche positive et personnelle. » Violences sexuelles Cet esprit de justice restaurative ne plaît pas à tout le monde, en particulier à l’association SOS Violences sexuelles, où Camille et sa fille Esméralda 5 reçoivent chaque année plus de 150 nouvelles victimes dont une grande majorité de femmes. « Nous, on se bat pour que les victimes obtiennent réparation, c’est tout. Et on ne lâchera pas. » Très remontées contre la réponse judiciaire, elles déclarent que l’association ne se pliera jamais à ce vent de « justice restaurative » (loi Taubira 2014) qui consiste à confronter auteurs et victimes dans une sorte de médiation, pour favoriser la réinsertion des détenus dans la société. De même, la correctionnalisation du viol commence à leur poser un « problème de conscience » : par souci de gestion, le juge d’instruction propose une requalification du viol (crime) en agression sexuelle (délit). De nombreux dossiers se retrouvent devant le tribunal correctionnel, et seuls les cas les plus lourds vont aux assises. Bientôt le dispositif TGD Le « Téléphone Grave Danger » (TGD) se généralise en Métropole pour protéger des femmes gravement menacées par leur (ex)partenaire. Délivré par le procureur pour une durée déterminée, le TGD permet aux forces de l’ordre d’intervenir rapidement grâce à la géolocalisation de la victime qui n’a qu’à appuyer sur un bouton. Sur le Caillou, l’expérimentation portera sur le Grand Nouméa. Nicole Robineau, présidente de la commission des droits de la femme et de la famille au Congrès © Élodie Lanfroy

Surpopulation carcérale Pour beaucoup d’intervenants sur le terrain, de vrais problèmes structurels demeurent : manque de moyens humains et financiers, engorgement des tribunaux, manque de formation des forces de l’ordre, surpopulation carcérale au Camp-Est. À cela, il faut ajouter les stéréotypes qui vont bon train en Calédonie, comme le souligne le dernier rapport du Conseil économique et social (CESE) à propos de la Journée de la femme, ne proposant que des massages... Enfin, le statut de la femme kanak doit encore évoluer au sein de la coutume. En Nouvelle-Calédonie, droit civil français et statut civil coutumier coexistent. La vie des femmes kanak est régie par des principes non-écrits qui s’appuient sur un privilège de masculinité et la primauté du groupe sur l’individu. En matière pénal, les affaires sont toujours portées devant la juridiction de droit commun qui prononce les sanctions. Mais ensuite, si victime et auteur relèvent tous les deux du statut particulier, les dossiers sont renvoyés devant une juridiction coutumière pour les réparations. Selon les avocats et les associations, les victimes le vivent toujours comme une discrimination. Laure Chatain, avocate spécialisée dans les violences sexuelles, ajoute que l’absence de huis-clos génère également de la stigmatisation. n 1 INSERM, Enveff 2, 3, 4 Victimes au sens large (violences conjugales, conflit de voisinage, harcèlement au travail, accident, etc.) 5 Prénoms d’emprunt 17 Police/Gendarmerie - 18 Pompiers - 15 SAMU 24 34 24 Bureau d’aide aux victimes du commissariat central 05 30 30 SOS Ecoute (appel gratuit !) 05 11 11 SOS Violences Sexuelles (appel gratuit !) Soutien et accompagnement judiciaire des victimes 14 rue Sébastopol - Centre Ville - Tél. standard : 25 00 04 05 44 44 SOS Enfance maltraitée (appel gratuit !) 26 26 22 Association Femmes et violences conjugales 27 76 08 ADAVI (association d’aide aux victimes, spécialisée dans l’accompagnement juridique) 27 93 50 Tribunal de Nouméa - Procureur de la République 27 27 73 Espas CMP (VIH, IST, sexualité et soins) 23 26 26 Le Relais de la Province Sud (service de traitement des violences conjugales et intrafamiliales) 25 20 47 Mission à la condition féminine 27 37 75 Foyer Béthanie (centre d’hébergement d’urgence pour femmes seules ou avec enfants) 27 23 70 Centre de conseil familial 20 45 10 Service de la protection de l’enfance de la DPASS 20 45 40 Assistantes sociales DPASS 27 53 48 Protection maternelle et infantile (PMI) 28 63 86 Association pour la sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes de Nouvelle-Calédonie (ASEANC) Province Nord : 86 05 92 Point d’accès aux droits 47 73 37 Secrétariat de la Maison de la Femme 71 72 96 Cafed (centre d’accueil des femmes en difficulté) 47 25 13 Aide judiciaire section détachée de Koné 27 93 50 Service Educatif auprès du Tribunal (S.E.A.T) 42 72 29 Maison des Femmes de Poindimié Province Iles Loyauté : 45 12 12 CMS Lifou 45 42 12 CMS La Roche 45 71 10 CMS Ouloup 45 52 46 Service de l’Action Sociale des Iles Loyauté 45 49 24 Educatrice Sociale et familiale (ESF) 87 29 39 Association d’aide aux victimes de Lifou 79 47 64 Cabinet juridique GÖLINÖJ (droit civil coutumier kanak) Les victimes de violences ont souvent été témoins de violences durant une enfance et une adolescence difficiles. Violences sexuelles : délais de prescription Depuis février dernier, le délai de prescription est passé de trois à six ans pour les délits, et de dix à vingt ans pour les crimes (comme viol), à compter de la majorité de la victime si elle était mineure, ou à dater des faits pour une femme majeure. Cette loi ne sera applicable que pour les crimes et délits à venir. En effet, les lois de procédure ne sont pas rétroactives. 16 dossier Mère et fille travaillent main dans la main à l'association SOS Violences Sexuelles.

L ' anthropologue Françoise Héritier, 84 ans, a consacré sa carrière à la compréhension de la domination masculine, qui traverse toutes les sociétés et remonte à la nuit des temps. Les violences contre les femmes ont toujours été exercées par l’autre moitié sexuée de l’humanité : les hommes. Les hommes sont les seuls mammifères du règne animal qui tuent et agressent leurs femelles. Même chez les primates, les grands singes mâles ne mettent pas à mort les femelles. C’est le triste privilège de l’humanité : on ne peut donc pas parler de bestialité ou de nature animale impossible à modifier. Il faut plutôt comprendre la domination masculine comme un système de pensée : donc, bonne nouvelle, tout peut changer ! Une méthode ultrasimple Certainement dès l’ère Neandertal, nous avons érigé ce que Françoise Héritier appelle « la valence différentielle des sexes » : un système facile à transmettre qui s’est perpétué jusqu’à nos jours et a servi de modèle à toutes les autres formes de domination, comme la relation maître-esclave ou colonisé-colonisateur. La méthode est la suivante : • interdire à la femme la libre disposition de son corps • lui interdire l’accès au savoir • lui interdire l’accès au pouvoir • utiliser un langage spécifique de domination pour parler d’elle ou s’adresser à elle (déni, dénigrement, etc.) « (...) cela a été voulu » Le corps des femmes a le pouvoir de fabriquer des êtres humains, garçons et filles... Alors que les hommes n’ont même pas la capacité de recréer au moins un être de sexe masculin avec leur propre corps ! Voilà l’imaginaire collectif qui a mis en dépendance le corps des femmes, devenu l’objet indispensable que tout homme doit posséder pour pouvoir se reproduire. Ainsi, une femme qui n’était pas sous l’emprise d’un homme était bonne à prendre. Les masculinistes, et même des femmes antiféministes, brandissent la différence physique entre le corps des hommes et celui des femmes pour justifier les rapports d’inégalité. Cependant, mis à part le fait que nous pouvons porter des enfants, il n’y a pas de différence physiologique : c’est parce qu’on nous a privé de la meilleure part de protéines pendant des millénaires que notre corps s’est affiné. De nombreux tabous, comme l’enfermement des petites filles ou des femmes enceintes et allaitantes, nous ont privées de la vitamine D apportée par le soleil et ont contribué à nous affaiblir. « Cela a été construit, cela a été voulu, » insiste Françoise Héritier dans ses ouvrages. À certaines époques, toutes ces « pratiques différentielles » ont entraîné une hécatombe en Europe : le bassin trop étroit, les femmes mouraient en couches par milliers. Depuis, un rattrapage s’est opéré dans les pays développés. Vigilance Il faut une incroyable vigilance sur soi-même et en permanence pour lutter contre ce modèle injuste de la domination masculine. Cette lutte ne donnera des résultats que dans plusieurs milliers d’années selon Françoise Héritier, car nos enfants sont soumis à des discours contradictoires tous les jours. Alors résistez mais ne culpabilisez pas : les mères ne doivent pas, seules, porter cette responsabilité écrasante. Attention à nos pratiques quotidiennes et aux mots : aujourd’hui, on ne peut plus dire « sale youpin » ou « sale Noir » et heureusement ! Mais « salope » et « sale pute » ne posent pas de problème à la justice... Attention aux discours religieux faisant de la femme une pécheresse si elle ne veut pas se soumettre aux volontés de l’homme. Attention aux héros sur nos écrans, amoureux-vengeurs de leurs femmes en détresse... Attention à l’histoire de la graine qui fait de papa le seul jardinier et de maman un pot de fleurs. Attention à ces petites histoires qui présentent comme une situation désirable le fait d’être enlevée par un prince sur son cheval, mariée et engrossée dans son château. Attention à ces comptines populaires qui font parfois l’apologie du viol. n De la domination masculine dOSSiEr 17

dOSSiEr Témoignage de victime 18 « J ’ ai rencontré Luc* à 17 ans. Il en avait 22. Je suis tombée enceinte rapidement. (...) Je vivais encore chez mes parents, souvent absents pour le travail. Les premiers coups sont arrivés pendant la grossesse. (...) Luc me giflait, me poussait, me jetait par terre, me frappait au sol. Il y avait les mots aussi, si durs... « T’es moche, t’es grosse, t’es nulle, tu sers à rien. » (...) Il s’est toujours arrangé pour qu’il n’y ait pas de témoin. Mon père ne l’aimait pas trop. Malheureusement, quand on est ado, on fait toujours le contraire de ce que disent nos parents. De toute façon, j’avais trop honte. Je n’en aurais jamais parlé ! (...) Je faisais semblant que tout allait bien, j’ai tout mené de front et j’ai eu mon bac... mais j’ai mis au monde un grand prématuré. Motricité, langage, propreté, Caroline* a eu beaucoup de retard. Aujourd’hui, elle a presque tout récupéré, mais ça a été très dur après sa naissance. La nuit, il fallait donner le biberon toutes les deux heures, et continuer à aller à l’école pendant la journée. Car j’ai poursuivi en BTS après le bac. (...) Luc travaillait dans une commune éloignée et ne rentrait que les week-ends. Dès que je le contredisais, c’était des coups. (...) Je n’étais pas considérée comme un être humain. (...) Quand il était saoul, il m’a violée aussi. (…) 20 de tension Pour ma deuxième grossesse, j’ai fait un énorme déni. Je m’en suis rendu compte au bout de cinq mois ! Fatiguée, stressée, je suis montée à 20 de tension. Là, je lui ai mis un ultimatum, je lui ai dit de ne plus se mettre la pression avec nous, de prendre du recul... Et miracle, il a pris le large. Il m’a laissée tranquille terminer ma grossesse et Mathias* est né à terme, en parfaite santé. (...) En tombant sur des photos, j’ai découvert que Luc avait une double vie, avec une autre compagne, et même des enfants ! Là, j’ai eu le déclic. Je suis allée au Relais de la province Sud. Au procès, il a tout accepté : la garde, la pension, etc. (...) J’ai fait une grave dépression après ça. J’ai perdu vingt kilos. (...) Très vite, j’ai repris le dessus (...). Je me suis lancée dans une formation d’infirmière ! « Je te tuerai » (...) Même séparés, j’étais bien obligée de croiser Luc le week-end, quand il venait chercher les enfants. Il m’a menacée plusieurs fois : « Ne refais pas ta vie, t’as pas intérêt, je te tuerai ». Le jour où il a compris que j’avais rencontré quelqu’un, il a explosé... Il m’a tirée par les cheveux dans les escaliers. J’ai voulu porter plainte, mais soit on m’a plutôt conseillé de poser une main courante, soit il n’y a pas eu de suite... Depuis deux ans, je suis avec quelqu’un de bien, un étudiant comme moi, ça se passe vraiment bien... Et ça, Luc ne le supporte pas. Pour la première fois, en février, il m’a rouée de coups devant les enfants. Il m’a giflée si fort que je suis tombée. Il a cassé le réfrigérateur, la chaise, m’a encore traînée par les cheveux... Alors que j’étais au sol, il m’a mis des coups de pied avec ses chaussures de sécurité... Il a visé les fesses et le visage. (...) J’ai essayé de protéger mon visage coûte que coûte pour pouvoir continuer à aller en cours. J’ai pensé à mes enfants. Je les entendais hurler, pleurer, ils étaient terrorisés, c’était horrible. (...) Commissariat central Au commissariat central, une fois de plus, j’ai été confrontée à un policier bizarre, avec des questions orientées, comme si je l’avais cherché. On m’a même dit « c’est dommage, ça a l’air d’être un gentil. ». Insupportable... Mais j’ai pu porter plainte, voir un médecin spécialisé et Luc a été placé en garde à vue. (...) L’audience vient d’avoir lieu : il a pris six mois de sursis, 24 mois d’interdiction de m’approcher et 100 000 francs. (...) Depuis cette scène, Caroline a de nouveau des problèmes d’énurésie. Elle ne veut plus aller chez son père. Ça me brise le cœur, mais je suis obligée de la forcer à y aller, sinon Luc portera plainte contre moi. (...) J’ai peur pour eux. La dernière fois qu’il les a ramenés, Mathias était en détresse respiratoire avec 40 de fièvre ! (...) La prochaine étape, c’est le juge des affaires familiales. Je voudrais lui retirer le droit d’hébergement, et qu’il les voie dans un espace sécurisé. (...) Partir Ça fait quatre ans qu’on est séparés mais j’ai toujours peur, je vis cachée, je me fais insulter par certains membres de sa famille. Heureusement, mes enfants et mes parents sont soudés autour de moi. (...) J’ai hâte de terminer ma dernière année d’études. Je voudrais partir travailler et vivre en Métropole avec mon nouveau compagnon, arracher mes enfants à cet enfer. Mais je ne peux pas... Luc a toujours l’autorité parentale. » n * Prénoms d’emprunt. Certains détails ont été modifiés. Marie le Phénix À 25 ans, Marie* est un oiseau de feu, un Phénix : réduit en cendres, il renaît sans cesse, déployant des ailes protectrices au-dessus de ses enfants pour tenter de redécoller. Toujours en grand danger, Marie a accepté de nous raconter son histoire. © Aude-Émilie Dorion

DOSSIER Parole de flics Au commissariat central de Nouméa, le capitaine Thierry Bourat, référent police-population, est d’abord piqué au vif : « Des stages sur l’accueil des victimes ont lieu depuis des années ! » Il ne peut pas entendre qu’un agent puisse mal orienter une femme en détresse ou carrément lui adresser un propos désobligeant. Puis, il concède : « La police est une institution mais on est humain. Le côté administratif est peut-être un peu froid, mais ensuite la personne sera parfaitement suivie. » Il tient surtout à souligner la réactivité des policiers sur le terrain : « En cas de violences, nous présentons toujours l’auteur devant la justice, même si la victime ne veut pas porter plainte (...) Les attentes sont énormes. Par exemple, dans un conflit familial, il faut les séparer, constater les blessures, les dégâts, trouver une solution d’urgence pour que la femme et ses enfants passent la nuit en sécurité. On fait tout cela. » À ceux qui reprochent aux forces de l’ordre de ne pas se rendre sur les lieux quand on les appelle à l’aide, le capitaine Sylvia Chabale répond également : « Ce sont les délais d’intervention qui peuvent être longs. Quand on est déjà en intervention, on ne peut pas se dédoubler. C’est un problème de manque d’effectifs. » Ne pas généraliser Le capitaine Sylvia Chabale, ancien chef du bureau de protection familiale et des mineurs de la police nationale, dirige aujourd’hui le Bureau d’aide aux victimes (BAV), petite révolution au commissariat central, mis en place en 2016. Pas langue de bois, elle explique : « Chacun a sa sensibilité mais il ne faut pas généraliser. Oui, des questions heurtantes peuvent être posées aux victimes, mais c’est nécessaire à la procédure. On veut la vérité. Après, c’est le procureur qui décide. Et oui, parfois c’est terrible, quand une femme a été victime de graves abus pendant des années avant l’affaire qui nous intéresse. » Laurence Grangeon, l’assistante sociale du BAV, explique : « Une partie des affaires relève de ce qu’on appelle les « violences mixtes » : la femme insultée, battue, violée qui ne s’est pas sentie protégée, un jour, elle va peut-être répondre avec beaucoup de violence, le tout dans un contexte de grande toxicologie et de montée en tensions. D’où l’importance de porter plainte si on est victime de violences et de les signaler si on est témoin, pour permettre à la justice de contextualiser les faits. » Thierry Bourat ajoute que la caractérisation des violences verbales et psychologiques est en plus très compliquée, depuis la loi sur le harcèlement moral. On retient donc que les situations sont complexes, toujours différentes, et la violence protéiforme. « Ça bouge » Mais que dire des conseils et commentaires bien lourds, dénoncés par le milieu associatif, que certains adressent aux femmes victimes de violences ? Le capitaine Sylvia Chabale se veut rassurante : « Si un comportement inapproprié remonte, on réagit immédiatement. D’ailleurs, ça bouge. En tant que femme dans la police, je peux vous assurer que les hommes ont évolué. Nous, les femmes policières, on ne se laisse pas faire devant les comportements machos. Et il y en a beaucoup moins qu’avant. Notre travail est pris en compte et valorisé. Le regard change. » Les forces de l’ordre n’échappent pas au contexte général de domination masculine qui façonne toutes les institutions. Les mentalités doivent encore évoluer sur les questions de genre et d’égalité hommes-femmes. Dans la tête des hommes, comme dans celle des femmes d’ailleurs. Problème de formation Un problème majeur dans la lutte contre les violences faites aux femmes concerne la formation de tous les intervenants, et sur ce plan, la Nouvelle-Calédonie n’a rien à envier à la Métropole. Dans Le monde.fr, Isabelle Steyer, avocate au barreau de Paris, spécialiste du droit des victimes et des violences conjugales, explique : « Il ne faut pas que des questions culpabilisantes lui soient initialement posées (à la victime). (...) il n’existe pas de formation obligatoire pour les policiers. Il y a deux jours de formation (...) au sein de l’Ecole nationale de la magistrature, et aucune formation pour les experts, psychiatres, enquêteurs sociaux, psychologues. Les médecins ne sont pas formés à cela. (...) Dès qu’un intervenant n’est pas formé, il va invalider le dossier et le travail fait précédemment dans le cadre de l’instruction et de l’enquête. » Les dispositifs sont donc sans cesse à améliorer, mais le BAV du commissariat central de Nouméa constitue un progrès, notamment parce qu’il travaille en réseau avec toutes les autres structures dédiées comme Le Relais, les assistantes sociales de secteur, les foyers, les associations d’aide juridique. n Extrait de BD signée Alice g. Juliette, sur le site « Projet Croco- diles » : Suite à une agression sexuelle, la victime se retrouve confrontée à une procédure qui ne se déroule pas comme prévu. Ses signalements permettront de cibler plusieurs fautes graves. 21

dossier interview Les violences faites aux femmes concernent-elles davantage les communautés mélanésiennes ou océaniennes ? Alexis Bouroz : Non, toutes les populations sont touchées, même si certaines communautés sont surreprésentées dans les tribunaux. La sous-représentation des personnes d’origine européenne par exemple renvoie au tabou social. S’il y a un point commun dans les affaires de violences conjugales, c’est plutôt l’alcool comme facteur aggravant. Dans environ 80% des cas, l’auteur des violences, et parfois aussi la victime, sont sous l’emprise de l’alcool. Est-il possible de chiffrer précisément l’ampleur du phénomène ? Au tribunal, nous avons enregistré 588 affaires en 2016 liées à des « violences par conjoint ». Ce chiffre est largement minoré par rapport à la réalité. Car certaines affaires échappent aux statistiques en raison d’une terminologie différente, alors qu’elles sont directement liées à la violence conjugale. Par exemple, des infractions sans violence, des dégradations, des incendies. Selon moi, chaque année, au moins mille affaires sont en rapport avec les violences conjugales. La situation peine à s’améliorer. Pourquoi ? La prise en charge des victimes est insuffisante entre le dépôt de la plainte et l’audience. Ce délai est d’environ trois mois. C’est long. La personne est très seule. Bien sûr, on l’oriente vers des structures spécialisées, elle reçoit quelques appels d’associations et peut s’entre- tenir avec une assistante sociale, un psychologue. Mais l’emprise est si grande qu’il faudrait faire plus. (...) Le retrait de plainte est très fréquent, environ deux cas sur trois à mon avis. Je traite trois à cinq affaires de violences conjugales toutes les semaines rien qu’en « plaider-coupable »* et les femmes insistent souvent pour entrer dans mon bureau en soutien de leur mari. « Il ne boit plus », « ça va mieux » expliquent-elles. C’est tout le problème de l’ambivalence des victimes dans ces affaires. Il y a l’attachement, la dépendance financière, l’inté- rêt supposé des enfants. Ensuite, la réalité est très différente d’une zone à l’autre. À Nouméa, il y a un vrai accès au droit, des avocats, des foyers d’hébergement, un milieu associatif actif mais, dans le Nord, il n’y a qu’un seul avocat sur place à Koné ! Dans les îles, c’est encore plus problématique : la victime rencontre son avocat le jour de l’audience. Il y a donc un problème d’accès au droit, même si des projets associatifs sont en cours et quelques solutions d’hébergement existent, comme à Voh ou Poindimié. Parfois, c’est le presbytère qui sert de refuge. (...) Il y a aussi une revendication pour régler le problème en tribu. Le poids du groupe pèse sur les victimes, notamment quand la question des enfants ou de l’éloignement du conjoint se pose. En quoi la lutte contre les violences conjugales doit constituer une priorité ? La réponse judiciaire dans ces affaires contribue au traitement de fond de la violence en général. Les bagarres à la sortie des boîtes de nuit ou les cambriolages dans le Grand Nouméa inquiètent la popula- tion, mais la délinquance juvénile est en lien direct avec les violences conjugales. Les jeunes qui commettent ces délits ont parfois un père violent et alcoolique. Alors vouloir responsabiliser les parents c’est bien, mais pas toujours possible quand la famille est déstructurée par la violence. C’est plus complexe. (...) En Nouvelle-Calédonie, il y a peu d’appels du voisinage pour signaler des violences intrafamiliales. Il faut pourtant absolument composer le 17 ou appeler la brigade de Alexis Bouroz Proc'de choc 22 Pour Alexis Bouroz, le procureur de la République, la lutte contre les violences faites aux femmes est une priorité absolue. Il partage sa vision d’un phénomène à la racine du mal, balayant au passage quelques idées reçues. © Claude Beaudemoulin, Province Sud campagne Ruban blanc

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