Femmes : Juillet 2017

À l’écouter parler, il ne faut pas plus de quelques secondes pour comprendre qu’Emmanuelle Merlo dite « Manu » entretient un rapport passionnel avec la mer. Rien ne la prédestinait pourtant à la navigation. Emmanuelle Merlo naît à Sarcelles dans la région parisienne. Fille d’un militaire de carrière, elle arrive sur le Caillou à l’âge de huit ans avec sa famille au début des années 80. C’est ici qu’elle ressent instantanément l’appel du large et s’oriente rapidement vers la voile. La petite Manu fait ses premières armes sur l’eau, au club de la Société des Régates Calédoniennes (SRC), un club convivial, pas trop axé sur la performance. « On était déjà une bonne petite bande, on faisait tous de l’Optimist, le dériveur d’apprentissage par excellence et on se tirait déjà la bourre ! », lance-elle dans un éclat de rire. C’est dans ses années de jeunesse que Manu tisse son réseau d’amis « voileux » comme elle les appelle, y compris Nicolas, l’homme qui partage aujourd’hui sa vie et père de ses deux filles. Un milieu « à part » qu’elle ne quittera plus. « Pour moi le milieu de la voile est devenu une famille, assure-t-elle. Quels que soient nos supports de navigation, nous avons tous le même esprit et la même envie d’être sur l’eau. » C’est à l’âge de douze ans qu’Emmanuelle participe à sa première grande compétition lors de la Semaine internationale de la voile en 1983. « Le plus fort moment de ma jeunesse, se souvient-elle. Je naviguais sur Optimist et c’était très excitant de rencontrer des navigateurs étrangers. » Cette régate lui donne le goût de l’effort et le désir d’en apprendre davantage sur ce sport qu’elle aime tant. De la plaisance à la compétition Entière, fonceuse et passionnée, Emmanuelle aurait aisément pu faire carrière dans la voile mais, à cette époque, les pôles « espoir » n’étaient pas aussi répandus qu’aujourd’hui. Elle passe néanmoins son diplôme de monitrice à l’âge de 17 ans et rejoint les bancs de l’École Normale de Nouméa. La jeune femme obtient son diplôme d’institutrice, couronnement de trois années d’études. Ce diplôme va lui permettre de mener une activité d’enseignante à Lifou pendant neuf ans, parallèlement à son parcours de navigatrice. « Avec mon mari nous étions si mordus de voile que nous revenions pratiquement tous les week-ends à Nouméa pour participer à des régates. » Après une première traversée vers l’Australie sur un dériveur monotype, l’insatiable navigatrice nourrit des envies d’ailleurs. S’il existe bien des équipages mixtes, il est plutôt rare que des hommes choisissent d’embarquer une femme pour les compétitions. « À un moment il a fallu qu’on s’organise entre filles pour pouvoir prétendre à faire de la course de haut niveau. Nous avons dû prouver à la Ligue qu’on pouvait faire du championnat, précise Emmanuelle. Ça nous a pris du temps mais on a fini par constituer trois équipages féminins et c’est ainsi que nous avons pu obtenir des budgets pour nos déplacements. » De plaisancière Emmanuelle devient peu à peu compétitrice sur Hobie Cat et découvre la Hollande, la Guadeloupe et Tahiti à la voile. Une rencontre avec Martine Chollet, autre figure emblématique de la voile féminine en Calédonie, va lui permettre de réaliser un rêve : participer aux championnats du monde de 1998 à Airlie Beach en Australie. « Une des grandes fiertés de mon vécu de sportive », se remémore-t-elle. Soutenu par Philippe Mazard, ancien président de la Ligue calédonienne de voile, l’équipage 100 % féminin avait en effet terminé troisième, un score entré dans les annales qui a depuis ouvert la voie à d’autres navigatrices. Malgré son petit gabarit, Emmanuelle a l’étoffe d’une championne olympique. À son actif, trois participations aux Jeux du Pacifique, en 1987 à Nouméa, 1999 à Guam (médaille d’or par équipe dames sur Laser) et en 2003 aux Fidji (médaille d’argent par équipe dames sur Laser). Après ces exploits, la skippeuse s’éloigne un temps de la compétition pour donner naissance à ses deux filles. La famille Merlo rentre de Lifou en 2005. « Ça a été difficile pour nous de nous réhabituer à la ville. On s’est donc dit qu’habiter sur un bateau nous permettrait de retrouver l’espace et la liberté qu’on n’a pas forcément à Nouméa ». Dès 2007, elle revient à sa passion première, la course, dans une formule particulière de régate, « le match racing ». Il s’agit d’un affrontement à armes égales sur l’eau à un (bateau) contre un (bateau). En 2012, elle concourt en Nouvelle-Zélande sur le « Women Keel Boat Championship » sans parvenir à s’imposer. L’année suivante, à la surprise générale, elle ne passe pas très loin du podium en terminant 5e. Forte de cette expérience, Manu comprend de mieux en mieux l’essence même de son sport. « J’ai appris la voile à la dure et lorsque je suis passée à la barre, je me suis mise à gueuler à mon tour. Or, lorsque tu fais de la compétition, tu apprends à être patient et à cultiver le calme, confie-t-elle. Seule, c’est toujours plus facile mais quand on navigue par équipe, il faut apprendre à composer… » Si Emmanuelle n’a pas fait carrière dans la voile, on sent pourtant qu’elle vibre totalement au contact de l’eau. À quelques jours du top départ de la « Ladies nav », la skippeuse nous fait toucher du doigt un peu de ces plaisirs élémentaires qu’on découvre en mer. Pour elle, le bonheur c’est simple comme ancrer son bateau aux abords d’une baie tranquille, un thon au bout de la ligne. « Tant qu’il y a du soleil et du vent », dans un dialogue direct entre elle et la nature, tout est à sa place. Manu se sent libre, vivante. n Texte et photos : Aude-Émilie Dorion ACTUS 9

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