Femmes : Juillet 2017

dossier interview Les violences faites aux femmes concernent-elles davantage les communautés mélanésiennes ou océaniennes ? Alexis Bouroz : Non, toutes les populations sont touchées, même si certaines communautés sont surreprésentées dans les tribunaux. La sous-représentation des personnes d’origine européenne par exemple renvoie au tabou social. S’il y a un point commun dans les affaires de violences conjugales, c’est plutôt l’alcool comme facteur aggravant. Dans environ 80% des cas, l’auteur des violences, et parfois aussi la victime, sont sous l’emprise de l’alcool. Est-il possible de chiffrer précisément l’ampleur du phénomène ? Au tribunal, nous avons enregistré 588 affaires en 2016 liées à des « violences par conjoint ». Ce chiffre est largement minoré par rapport à la réalité. Car certaines affaires échappent aux statistiques en raison d’une terminologie différente, alors qu’elles sont directement liées à la violence conjugale. Par exemple, des infractions sans violence, des dégradations, des incendies. Selon moi, chaque année, au moins mille affaires sont en rapport avec les violences conjugales. La situation peine à s’améliorer. Pourquoi ? La prise en charge des victimes est insuffisante entre le dépôt de la plainte et l’audience. Ce délai est d’environ trois mois. C’est long. La personne est très seule. Bien sûr, on l’oriente vers des structures spécialisées, elle reçoit quelques appels d’associations et peut s’entre- tenir avec une assistante sociale, un psychologue. Mais l’emprise est si grande qu’il faudrait faire plus. (...) Le retrait de plainte est très fréquent, environ deux cas sur trois à mon avis. Je traite trois à cinq affaires de violences conjugales toutes les semaines rien qu’en « plaider-coupable »* et les femmes insistent souvent pour entrer dans mon bureau en soutien de leur mari. « Il ne boit plus », « ça va mieux » expliquent-elles. C’est tout le problème de l’ambivalence des victimes dans ces affaires. Il y a l’attachement, la dépendance financière, l’inté- rêt supposé des enfants. Ensuite, la réalité est très différente d’une zone à l’autre. À Nouméa, il y a un vrai accès au droit, des avocats, des foyers d’hébergement, un milieu associatif actif mais, dans le Nord, il n’y a qu’un seul avocat sur place à Koné ! Dans les îles, c’est encore plus problématique : la victime rencontre son avocat le jour de l’audience. Il y a donc un problème d’accès au droit, même si des projets associatifs sont en cours et quelques solutions d’hébergement existent, comme à Voh ou Poindimié. Parfois, c’est le presbytère qui sert de refuge. (...) Il y a aussi une revendication pour régler le problème en tribu. Le poids du groupe pèse sur les victimes, notamment quand la question des enfants ou de l’éloignement du conjoint se pose. En quoi la lutte contre les violences conjugales doit constituer une priorité ? La réponse judiciaire dans ces affaires contribue au traitement de fond de la violence en général. Les bagarres à la sortie des boîtes de nuit ou les cambriolages dans le Grand Nouméa inquiètent la popula- tion, mais la délinquance juvénile est en lien direct avec les violences conjugales. Les jeunes qui commettent ces délits ont parfois un père violent et alcoolique. Alors vouloir responsabiliser les parents c’est bien, mais pas toujours possible quand la famille est déstructurée par la violence. C’est plus complexe. (...) En Nouvelle-Calédonie, il y a peu d’appels du voisinage pour signaler des violences intrafamiliales. Il faut pourtant absolument composer le 17 ou appeler la brigade de Alexis Bouroz Proc'de choc 22 Pour Alexis Bouroz, le procureur de la République, la lutte contre les violences faites aux femmes est une priorité absolue. Il partage sa vision d’un phénomène à la racine du mal, balayant au passage quelques idées reçues. © Claude Beaudemoulin, Province Sud campagne Ruban blanc

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