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il y a un bémol ici. La croissance est au

ralenti, on estime même qu’on pourrait

être en récession l’an prochain. Les

horizons des chefs d’entreprise sont assez

bouchés, la demande n’est pas au rendez-

vous, et les horizons institutionnels ne sont

pas non plus dégagés. La situation ne se

prêtant pas à l’investissement, les gains

de productivité vont donc alimenter la

consommation des entrepreneurs. Ça c’est

incontestable en Nouvelle-Calédonie, on

le voit à travers la balance des paiements,

un certain nombre de marges sortent du

territoire pour aller s’investir ailleurs, par

exemple dans des portefeuilles boursiers

ou dans des actifs immobiliers sur la Gold

Coast.

La deuxième répartition possible, c’est

de tout donner aux salariés sous forme

d’augmentations de salaire. Ce n’est

peut-être pas le premier choix d’un

entrepreneur, mais les syndicats peuvent

exiger que la redistribution se fasse sous

cette forme. La limite de l’exercice, c’est

que si ce transfert se traduit par une baisse

des marges de l’entreprise, elle va réagir

en augmentant ses prix…

Donc, par défaut, mais c’est aussi à mon

sens le meilleur vecteur, la troisième voie

est la meilleure façon de redistribuer les

gains de productivité : les donner au client

sous forme de baisse de prix.

Alors comment organiser cette baisse

des prix ?

Quand on est dans une très grande

économie où la concurrence est très

sévère entre les opérateurs, c’est le

marché qui pousse à la baisse de prix,

sinon vous perdez vos clients. En

Nouvelle-Calédonie, c’est un peu différent.

Le marché est petit et nous savons qu’il

ne permet pas la présence de nombreux

compétiteurs. Parfois on est en situation

de duopole, et très souvent d’oligopole,

c’est-à-dire que trois-quatre entreprises se

partagent le marché. Dans ces conditions,

il faut organiser la répartition des gains de

productivité.

Il y a deux façons de le faire. Celle que je

privilégierais moi, c’est celle du dialogue.

C’est d’ailleurs celle qui a été privilégiée

en Métropole pendant de très nombreuses

années et qui a fait la fortune de la période

qu’on a appelée les Trente Glorieuses. Le

dialogue, c’est-à-dire qu’on s’entend avec

l’ensemble des opérateurs et l’ensemble

des syndicats sur les modalités les plus

optimales de répartition des gains de

productivité. Et on signe un contrat,

avec des clauses qui sont des clauses de

sauvegarde de l’intérêt général. Pourquoi

un contrat ? Parce qu’il faut éviter que des

opérateurs jouent les francs-tireurs. Ça ne

marche, comme dans un pack de rugby,

que si on est tous soudés. Il faut jouer en

bloc, il faut avoir un pacte entre nous et il

faut accepter aussi qu’il y ait des mesures

de dissuasion, sinon on ne s’en sortira pas.

Il y a urgence.

La Calédonie est au pied du mur ?

Notre ancien modèle est à bout de souffle.

Nous ne serons plus dopés par l’extérieur.

Donc nous n’avons pas beaucoup le choix.

La productivité associée à la compétitivité

– qui permet de mieux affronter la

compétition internationale –, c’est un peu

la face nord de l’Himalaya, c’est le plus

difficile. Mais c’est aussi ce qui va nous

permettre de rebondir et de retrouver de

la croissance. Et il la faut cette croissance,

pour deux raisons. La première est que

sans elle nous ne pourrons pas enrayer

le processus de paupérisation que nous

repérons depuis 4 à 5 ans – c’est-à-dire

que la progression du revenu moyen des

Calédoniens est inférieure aujourd’hui

à la progression de la démographie.

Deuxième impératif : le financement

de la protection sociale. Nous sommes

proches de la cessation de paiement. Ce

n’est pas inéluctable, si nous retrouvons

de la croissance et arrivons à maîtriser

certaines dépenses, nous allons préserver

notre modèle social, mais pour cela il faut

de la productivité et de la compétitivité.

En suggérant ce modèle, on ne joue pas

aux apprentis sorciers, c’est celui qui

a fait la fortune de tous les pays dans le

monde depuis les années 90. Mais c’est

plus difficile que de voir une croissance

exogène vous tomber du ciel. Et même si

le nickel repart, ce n’est pas ça qui va nous

tirer d’affaire.

Vous expliquez à ce propos que

l’impact du nickel dans l’économie

calédonienne, contrairement à l’idée

répandue, est relativement faible…

Actuellement, le nickel, c’est moins de

10 % de la richesse créée en Nouvelle-

Calédonie. Alors, bien évidemment, si

les trois usines fonctionnaient à fond,

chacune à 60 000 tonnes avec un prix de

marché à peu près raisonnable, on serait

très certainement à 20 %. Mais quand

bien même, 80 % sont les activités hors

nickel. Alors oui, le nickel a des effets

d’entraînement, il y a de la sous-traitance,

etc. Mais j’ai fait un calcul dans le cadre du

schéma « NC 2025 » : sur 100 de richesse

créée par le nickel, il en reste 30 dans

l’économie locale. La vraie richesse de la

Calédonie, ce sont les Calédoniens eux-

mêmes. Des Calédoniens qui s’organisent

dans des entreprises, actives dans tous les

secteurs et qui créent de la richesse, et les

hommes et les femmes qui y travaillent au

quotidien.

(1)

Olivier Sudrie est docteur en économie

(Paris-X) et conseiller du gouvernement de la

Nouvelle-Calédonie depuis 2008.

(2)

L’Organisation de coopération et de

développement économiques (OCDE) réunit

35 Etats démocratiques soumis à l’économie

de marché.

Le nickel,

c’est moins

de 10 % de la

richesse

créée

CRYPTAGE

CRYPTAGE

«

La productivité, c’est la

quantité de produits que

l’on peut fabriquer dans un

certain laps de temps. Ça

peut être une journée, une

heure ou une année. Et si

la productivité augmente,

cela veut dire qu’avec les

mêmes machines et les

mêmes hommes, un chef

d’entreprise va produire

plus. Donc si, avec les mêmes

coûts, machines et humains,

mêmes salaires et même

amortissement du capital,

il produit et vend plus, il

va donc baisser ses coûts

unitaires de production. Et

la baisse des coûts est un

facteur essentiel dans la

reprise de la croissance

. »

Qu’est-ce que la productivité ?

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