Femmes : Septembre 2017

24 COUPLE Rendez-vous chez le pédiatre, liste des courses, ménage... En dessinant son quotidien, l’illustratrice Emma a souhaité mettre en lumière la « charge mentale » qui pèse au quotidien sur les femmes. Une notion floue, mais qui parle à beaucoup... Cette charge mentale qui pèse sur les femmes C’est un revival que personne n’a vu venir, à la faveur d’une BD postée sur le Net au mois de mai. La notion de « charge mentale », née dans les années 80 pour décrire l’intensification du travail et ses conséquences psychiques, a refait surface et a contaminé les conversations. En quelques jours, tout est devenu « charge mentale », cette élasticité cérébrale, bien connue des femmes, qui permet de gérer dix mille choses à la fois, au bureau comme à la maison. Une disposition typiquement féminine ? C’est bien ça le problème. Dans son comics trip numérique Fallait demander1, la dessinatrice Emma aborde l’inextricable inégalité des femmes et des hommes face aux tâches ménagères et éducatives. Une BD plus que virale, avec plus de 200 000 partages en à peine quelques jours. Pourquoi un tel succès ? Parce que quasiment toutes les femmes s’y sont retrouvées, pardi ! Enchaînement mental de tâches La psychologue du travail et professeure à l’université Paris-XIII Sorbonne-Paris-Cité, Pascale Molinier, décrit cette charge mentale des femmes comme « un maelström où on ne s’arrête jamais ». L’ergonome Ghislaine Doniol-Shaw a, quant à elle, tenté de décrire scientifiquement le travail domestique. « Impossible, dit-elle, les femmes font trop de choses à la fois ! » C’est précisément cet enchaînement mental de tâches physiques que met à jour la dessinatrice Emma : je vais ranger un objet, sur le chemin je tombe sur des chaussettes sales que je vais porter dans le panier à linge sale qui est plein, je mets une machine en route, je trébuche sur un sac de légumes que je vais ranger dans le frigo et je vois qu’il n’y a plus de moutarde, je le note sur la liste de courses, etc. Ce travail « familialo-domestique » ne se contente pas de gérer des carottes et des torchons, il est aussi pris en charge affective du foyer. Comme souvent dans les métiers dits féminins, il relève d’un « travail émotionnel », concept théorisé au début des années 80 par la sociologue américaine Arlie-Russell Hochschild. S’occuper d’un enfant, d’un client ou d’un malade, c’est se donner à l’autre, gérer ses besoins, ses crises, voire son agressivité. Cela exige de maîtriser ses émotions, prendre sur soi. Les spécialistes parlent de « charge émotionnelle ». Double journée Malgré l’implication réelle - mais limitée - des pères, les femmes continuent d’assumer l’essentiel des tâches domestiques : 60 % contre 70 % dans les années 80. Bien qu’elles soient massivement investies dans le monde du travail, les femmes voient leur vie professionnelle touchée par la double journée : choix du temps partiel, filières professionnelles moins chronophages, engagement moindre ou différencié dans la vie publique. Ceci explique en grande partie les inégalités professionnelles entre les deux sexes. Et la situation est particulièrement tendue pour les mères de jeunes enfants. « Le jonglage entre travail et famille amplifie la charge mentale, explique Pascale Molinier, car les intérêts en jeu sont contradictoires. Ils entrent même en conflit : je rapporte du travail à la maison ou je m’occupe de mon enfant ? » La superwoman n’en peut plus ! Double journée, travail domestique, charge mentale, conciliation, charge émotionnelle : quel que soit le nom utilisé, les tâches domestiques, tel un gros tas de linge sale abandonné, entravent toujours les vies professionnelles et intimes des femmes. Dans les années 90, perdurait le mythe de la superwoman, née dix ans auparavant. Il a disparu et ne fait plus rêver. À l’ère 2.0, la charge mentale s’impose. Car la pression des femmes qualifiées est là : elles sont majoritaires sur les bancs de l’université, elles sont plus souvent ministres, dirigeantes ou députées. « Le caractère d’injustice est plus fort. Il y a une prise de conscience de cette double tâche, et du décalage entre hommes et femmes », remarque Pascale Molinier. La BD d’Emma traduit cette sensibilité. Dominique Méda2 écrivait en 2001 : « La question des tâches parentales et ménagères n’a jamais eu de véritable impact sur le débat public ou pris la forme d’un problème de société qu’il importait de traiter. » Qui a dit « charge mentale » ? 1 https:/ emmaclit.com/2017/05/09/repartition-destaches-hommes-femmes/ 2 Philosophe et sociologue française, auteur de l’essai Le Temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles.

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