Femmes : Juillet 2015

TRANCHE DE VIE LES TRIPLÉES D’HANOI MA SŒUR JUMELLE ET MOI SOMMES NÉES AU VIETNAM. ADOPTÉES, NOUS AVONS GRANDI ET NOURRI L’ESPOIR DE VOIR UN JOUR NOTRE FAMILLE ET NOTRE PAYS D’ORIGINE. QUAND LE MOMENT EST ENFIN ARRIVÉ, NOUS NE SOUPÇONNIONS PAS À QUEL POINT CE VOYAGE NOUS FERAIT DÉCOUVRIR UNE PART DE NOUS-MÊMES. C’EST NOTRE HISTOIRE DE SŒURS, UNE HISTOIRE DE CŒUR. 24 N ous sommes arrivées dans notre nouvelle famille à l’âge de trois mois. Ma sœur jumelle et moi avons touché le sol de notre tout nouveau pays quelques jours avant Noël. Le froid, les vêtements chauds, les feux de cheminée nous ont plongées dans un nouveau décor, bien différent de celui que nous avions à peine connu au Vietnam. Quelques jours plus tard, nous nous retrouvions au sein d’une grande assemblée. Chacun nous a portées, embrassées, donné à boire un biberon chaud et réconfortant. Ces oncles, tantes, cousins et cousines allaient faire partie de notre histoire, devenir notre histoire. En grandissant, nous avons évoqué avec notre mère le moment de notre naissance, notre pays d’origine, notre envie de nous y rendre un jour. Aujourd’hui, nous avons 17 ans. Nous sommes parties à Hanoi pour retrouver notre famille de sang. Quelques jours avant notre départ, notre mère nous a appris que nous n'étions pas deux, mais trois. Que nous ne sommes pas jumelles, mais triplées. Nous avons toujours su appartenir à une grande fratrie, mais une troisième sœur née en même temps que nous… Cette révélation nous a bouleversées. Cette sœur, elle aussi adoptée, a été recueillie par une famille vietnamienne. Nous ne savions pas si nous réussirions à la retrouver. Quand nous sommes arrivées sur les lieux, un ami a pu entrer en contact avec notre mère biologique. Accepterait-elle de nous voir ? À sa réponse positive, nos cœurs ont chaviré. Pour notre troisième sœur, nous n’avions aucune idée de ce qu’il se passerait, personne ne semblait pouvoir nous donner d’informations à son sujet. C’est lorsque nous avons débarqué dans le petit village de nos parents qu’un homme nous a demandé de nous asseoir entre les stands d’un petit marché improvisé et d’attendre. Attendre quoi ? Qui ? Quand nous avons vu approcher cette jeune fille qui nous ressemblait tant, nous avons tout de suite compris qui elle était et que cette rencontre serait l’une des plus mémorables de notre vie. Elle s’est avancée vers nous, elle avait le teint livide. Elle venait juste d’apprendre qu’elle était adoptée, que sa famille biologique habitait à deux pas de chez elle, et qu’elle avait deux sœurs portées et nées en même temps qu’elle. Un choc. Une impression d’irréalité, de flottement, de rêve. Ne parlant pas la même langue, nous avons communiqué naturellement par le regard, empli de larmes, nous touchant à peine au début. Puis, nous nous sommes rendues dans notre famille d’origine, nous avons vu notre mère, tous nos frères et sœurs réunis. Sur le mur du fond, des photographies de nous, envoyées par nos mères adoptives depuis des années, et une toute dernière réalisée quelques jours avant notre départ. Déjà en place sur ce grand mémorial familial. Et cette stupéfaction mêlée de joie, de nous rendre compte que nous avions toujours été là, parmi eux, nous rappelant sans cesse à leur mémoire. Aujourd’hui, nous communiquons régulièrement avec notre famille et notre sœur au Vietnam, par des photos et quelques bribes de mots en anglais. Nous sommes tout à la joie d’avoir vu d’un seul coup notre famille s’agrandir, d’avoir ressenti tant d’amour. Nous sommes en lien, nous sommes un lien, nous sommes une identité multiple. Et l’on s’en porte parfaitement bien. Et bientôt, c’est promis, nous repartirons… n

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