Femmes : Mars 2016

Françoise Caillard. En participant à cette marche, nous nous sommes senties moins isolées dans notre lutte. C’est une période qui a vraiment boosté le combat des femmes du pays, même si, malheureusement, rien n’est jamais acquis. Nous devons rester vigilantes et mobilisées pour les droits des femmes. » Car, même si la condition féminine s’est considérablement améliorée sur le Caillou depuis les années 70, les inégalités demeurent. DISCRIMINATIONS « Qu’est-ce qui fait la différence entre un homme et une femme en termes de rentabilité ? », s’insurge Françoise Caillard. Au jeu des inégalités des genres, la médaille revient aux écarts de salaires entre hommes et femmes, à niveaux de formation et postes égaux. Un écart qui continue à se creuser, en dépit des actions menées. Depuis 2009, l’Observatoire de l’IDC-NC (Institut pour le développement des compétences en Nouvelle-Calédonie) dresse un bilan annuel des disparités entre les Calédoniens et les Calédoniennes dans les domaines de l’emploi et de la formation. « Nous avons noté que l’écart de salaires entre les sexes n’a fait qu’augmenter entre 2011 et 2015, à l’avantage des hommes, constate Line Hadjifran, chef de service de l’Observatoire de l’IDC-NC. De même, les femmes ont un accès limité aux postes de direction, et ce même si leur niveau ’études est en moyenne plus élevé que celui des hommes du pays. » Comment expliquer le sous-emploi et le sous-paiement des femmes de Nouvelle-Calédonie ? Selon le rapport sur la mise en œuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDEF, voir encadré p. 16) en Nouvelle- Calédonie, publié en 2013, ces inégalités découlent de stéréotypes sexistes persistants, inhérents à toute société patriarcale. « En tant que femmes, nous sommes régulièrement victimes de sexisme ordinaire au travail, dénonce la Bitch Crew, collectif féministe local qui sévit sur Facebook et sur le blog “Le cri du cagou”. On se fait traiter de « chieuses » ou d’hystériques au bureau dès qu’on émet une revendication sur notre statut professionnel. De même, il n’y a qu’à se pencher sur les petites annonces pour relever des aberrations sexistes : “on recherche UN directeur et UNE assistante” par exemple. » La question d’égalité des genres est encore plus complexe en Nouvelle-Calédonie du fait de l’importance de la coutume et de la coexistence de deux statuts juridiques civils : commun et coutumier. Comme le mentionne la Charte du peuple kanak du 26 avril 2014 : « La société kanak est une société patriarcale. Son système social fonctionne à partir d’une transmission des droits, des pouvoirs et des responsabilités, basée sur l’homme. » « Le Sénat coutumier a rédigé cette charte en dépit des fe es kanak, se désole Françoise Caillard. C’est comme cette manie qu’ont les politiques ou les autorités coutumières d’appeler les femmes « les mamans ». C’est extrêmement réducteur et grave de ne ramener la femme qu’à son rôle de mère. Surtout qu’en langues, le terme « maman » n’est utilisé que pour parler d’éducation. » L’éducation... Et si c’était la solution pour en finir avec le sexisme ambiant ? Françoise Caillard en est en tout cas convaincue : « Tout doit être repris à la base. Le respect, le partage des tâches, l’égalité dans le couple et dans la société : c’est une question de transmission. » C’est dans ce sens qu’a été mis en place le dispositif Éducation à l’égalité à l’école (EEE) au vice-rectorat, en partenariat avec l’Union des femmes francophones d’Océanie. Son but : sensibiliser les jeunes aux stéréotypes sexistes véhiculés dans les sphères privées et publique et les aider à les déconstruire. Et il y a de quoi faire ! « Le meilleur moment pour relever des perles du sexisme, c’est durant la Journée des femmes, s’amuse la Bitch Crew. On a le droit aux ateliers bien-être ou cuisine, aux défilés de mode... Tout ça pour cantonner la femme dans son rôle traditionnel et pour noyer le poisson des droits et des revendications découlant normalement de cette journée ! » De quoi rire jaune. Mais parfois, nous n’avons plus du tout envie de rire. « Beaucoup de femmes ont déjà été victimes de réflexions avilissantes de la part de médecins, de gynécologues ou de pharmaciens. Ils (ou elles d’ailleurs) se permettent de nous juger sur notre vie privée ou nos choix intimes, ce qu’ils ne feraient jamais avec un homme. Pourquoi ? Tout simplement parce que dans notre société, une femme qui a une sexualité « débridée » ou qui choisit de se faire avorter est souvent considérée comme une « salope ». » VIOLENCES Aurait-on régressé en quarante ans ? En tout cas, une chose est sûre : en Nouvelle-Calédonie, les violences envers les femmes et les agressions sexuelles sont plus que jamais d’actualité. Selon les chiffres de l’Enquête santé, conditions de vie et sécurité des femmes calédoniennes2, une femme sur quatre a subi une agression de type physique ou sexuelle, tandis qu’une femme sur huit a été victime d’attouchements sexuels, de tentatives de viol ou de viol avant l’âge de 15 ans. Depuis 2014, la province Sud relaie la campagne du Ruban blanc, initiative mondiale engageant des hommes voulant contribuer à une société sans violences à l’égard des femmes. Au total en 2015, onze Calédoniens, figures publiques, se sont joints à cette campagne de sensibilisation. « Il est essentiel d’associer les hommes aux combats des femmes, argue Françoise Caillard. Ils ne doivent plus nous voir comme leurs rivales mais plutôt comme leurs partenaires. Le néoféminisme, c’est vouloir pour demain une société où les femmes et les hommes sont égaux, pas seulement dans les textes, mais aussi dans les pratiques et la vie quotidienne. » C’est aussi rester conscientes que les droits pris aujourd’hui pour acquis peuvent à tout moment être remis en cause. La Pologne en est un récent exemple : le nouveau gouvernement ultra-conservateur s’est lancé dans une croisade contre l’IVG, la pilule du lendemain et la fécondation in vitro, des droits pourtant bel et bien acquis... n 1 Journaliste allemande, femme politique et figure historique de féminisme socialiste. 2 Enquête publiée en 2003 par Christine Salomon et Christine Hamelin. 19 C’est en moyenne la part du salaire que les femmes perçoivent en moins par rapport aux hommes à niveau de formation équivalent. Source IDC-NC, Les Femmes - Formation et emploi en NouvelleCalédonie en 2014. © Gustav Dejert

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