Femmes : Décembnre 2015 vol. 1

TRANCHE DE VIE RETOUR AUX SOURCES C'est par un matin particulièrement chaud de janvier que j’ai fermé pour la dernière fois la porte de mon petit appartement du Quartier-Latin. Mon frère et mon cousin étaient venus m’aider à emporter mes vêtements et les objets auxquels je tenais le plus. Tout le reste était déjà au garde-meuble. Direction la maison de mes parents, à reculons. J’aurais dû être contente. J’avais la chance d’avoir des parents pour m’aider à reprendre mon souffle. Mais j’éprouvais à ce moment-là un drôle de sentiment de colère mêlée de honte. À vrai dire, je n’arrivais pas à croire que je retournais à la maison... à 38 ans ! Moi qui avais quitté le nid dès mon bac en poche pour voler de mes propres ailes ! Comment en étais-je arrivée là ? Un an plus tôt, je filais encore le parfait amour avec Tristan, un homme dynamique et plein d’humour, avec qui j’avais monté un petit snack. Notre petite entreprise marchait bien, en dépit de la crise. Alors, on en profitait ! On vivait bien. Trop bien même. Je savais que ce traindevieétait tout à fait déraisonnable, qu’onaurait dû épargner davantage. Mais Tristan, avec son côté flambeur, ne voulait rien entendre. Peu à peu, mon anxiété quant à la situation a eu raison de notre amour. Je ne désirais plus Tristan. Je me cou- chais souvent plus tôt que lui et le laissais sortir sans moi. Bref, on s’éloignait de plus en plus l’un de l’autre. Ce n’est que dans le travail qu’on se retrouvait. Une nuit, il n’est pas rentré. À son retour le lendemainmatin, je lui ai demandé des explications. Il a fini par m’avouer qu’il se sentait piégé. Au début, il avait simplement voulu se sentir désiré. Et puis, il était tombé amoureux d’une fille qu’il avait rencontrée. J’étais sous le choc, effondrée. Je lui ai dit de prendre ses cliques et ses claques et departir sur-le-champ. J’ai pleuré tout leweek-end. Jeme sentais tellement trahie ! Et notre snack ? Une catastrophe…Nous avons fermé, la mort dans l’âme, en raison des dettes que Tristan avait contractées sansm’enparler. Sans compter tout l’argent qu’il avait retiré de notre compte à mon insu. Trompée, humiliée, je n’avais même plus les moyens de le poursuivre. Prise à la gorge, j’ai demandé de l’aide à mes parents, qui ne se doutaient pas de l’ampleur du désastre. Ils m’ont écoutée sans me juger. Puis ils m’ont proposéde revenirquelque temps vivre chez eux. J’ai d’abord refusé, par fierté. Mais de toute évidence, j’avais besoinde soutien. Les premières semaines, je n’ai fait que dormir. J’étais si fatiguée ! Mes parents ont vraiment été compréhensifs. Ilsm’ont laissé faire, sansme poser de questions, tout enme faisant sentir qu’ils étaient à mon écoute si jamais j’avais envie de parler. Avec le recul, je me rends compte qu’ils m’ont laissé sortir de ma déprime en douceur et avec amour. Au fond, je crois qu’ils étaient contents de m’avoir auprès d’eux à nouveau. Je reprenais dou- cement vie auprès des miens. Le réconfort que m’offraient mes parents ne m’a évidemment pas empêchée d’angoisser ou de rester parfois prostrée dans ma chambre. Mais leur présence me rassurait. De mon côté, j’ai tenté de leur rendre la pareille. Je leur ai donné un sacré coup de main pour organiser la soirée en l’honneur de leurs noces d’émeraude. Salle, traiteur, DJ, décoration, animation… J’ai tout géré de A à Z. C’était pourmoi lamoindre des choses. Mais aussi, en quelque sorte, mon premier projet professionnel depuis la mort de mon snack. Il a suffi d’un peu plus d’un an pour que je retombe sur mes pieds, psychologiquement dumoins. Car sur le plan financier, j’ai encore du pain sur la planche ! Je sais que ça viendra, puisque je me suis récemment lancée en tant qu’organisatrice de soirées. Bref, je m’apprête à quitter la maison familiale, le temps de trouver un appartement convenable. Mes parents, bien qu’un peu tristes de mevoirpartir ànouveau, savent combiencettepériode transitoirea été bénéfiquepourmoi. Grâce à eux, je suis enfindevenue, à38 ans, l’adulte que j’aurais dû être depuis longtemps. n 59

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