Femmes : Décembnre 2015 vol. 1

LE JARDIN SECRET DE GINETTE NOUVELLE-CALÉDONIE ? KANAKY ? NOTRE PAYS SOUFFRE D’UNE ÉTRANGE SCHIZOPHRÉNIE. POURTANT, AVANT D’ÊTRE UN NOM, UN PAYS, C’EST D’ABORD UNE CULTURE PARTAGÉE. UN ESSAIM DE CULTURES PARTAGÉES. ET UNE CULTURE, C’EST AVANT TOUT UNE LANGUE. UN ESSAIM DE LANGUES PARLÉES. GINETTE BOAHOUMÉ-ARHOU EST LÀ POUR LE RAPPELER. «Ginette, c’est bien, mais je préfère que tu m’appelles Méré. C’est mon prénom en langue. » Méré est originaire de la tribu de Wanap, dans la commune de Koumac. Chez elle, on parle le phwaxumwââk, l’une des onze langues vernaculaires de l’aire Hoot Ma Whaap. « Mon père parlait le phwaxumwââk, mais comme ma mère était de la région de Gomen, à table on parlait tous le yuaanga. J’ai appris le français en entrant à l’école. Ça n’a pas été facile. Mais à l’époque, si on parlait en langue dans l’établissement, on se prenait des coups de règle sur le bout des doigts. On apprenait tous rapidement à parler français. » Mais c’est que Méré a aussi une prédisposition pour les langues. Les nouvelles sonorités l’intriguent, et la petite fille ne se lasse pas d’écouter les gens parler autour d’elle. Aujourd’hui, madame Boahoumé-Arhou maîtrise huit langues de l’aire Hoot Ma Whaap. « Neuf avec le français ! » LA NAISSANCE D’UNE CONTEUSE Très tôt, cet intérêt pour les langues l’a conduite à mener un minutieux travail de collecte dans l’ensemble des tribus de l’aire. Recettes de cuisine, techniques de pêche, façons d’allaiter, noms des plantes et des oiseaux... Les femmes et les hommes parlent, et Méré prend des notes, toujours dans la langue qu’utilise son locuteur. C’est dans ces moments intimes que, spontanément, éclosent les histoires du temps d’avant. « Quand tu commences à chercher sous une langue, il y a des choses enfouies qui se réveillent. C’est comme ça que les contes se transmettent. » Méré les retranscrit tels quels, « dans leur forme traditionnelle ». Pourtant, elle éprouve bientôt le désir de composer ses propres contes. Elle les couche sur papier et, le soir, elle en fait la lecture à ses proches. Une conteuse est née. « À l’époque, il m’arrivait de faire la nounou pour des enfants de Métros installés sur Koumac. Quand les parents ont appris que je leur racontais des histoires, ils m’ont demandé de leur organiser des « soirées contes » à domicile. C’est là que j’ai vraiment appris à dépasser mes peurs et à conter de manière plus naturelle, comme je parle au quotidien. » Méré est donc une conteuse chevronnée quand elle intègre Tägadé, l’association des Conteurs du Nord, qu’elle préside de 2013 à 2014. Avec une soixantaine d’autres conteurs, ils mettent en place des “caravanes” qui tournent partout en province Nord, contant dans les tribus et organisant des ateliers avec les écoliers. En parallèle, on demande à Méré d’animer des ateliers dans les internats de la région. « En général les jeunes jouent le jeu. L’année dernière, les internes de Koumac ont créé un grand conte sur l’environnement qui réunit toutes les langues de l’aire. Il devrait être publié à la fin de l’année. » UNE IDENTITÉ DEVANT NOUS Mais le travail de Méré ne s’arrête pas là. Si ce sont les langues qui l’ont amenée au conte, c’est le conte qui la ramène aux langues. Cette année, elle est intervenante en enseignement LCK (langues et culture kanak) au collège de Koumac. « Ça fait vingt ans que je réclame l’ouverture d’un tel enseignement sur Koumac. Il était temps. Les petits élèves non Kanak sont très curieux. Au début de l’année, chacun d’eux s’est choisi un nom en langue, souvent un animal comme le cerf, le requin, le taureau... Ils apprennent vite et ils veulent toujours en savoir plus. Pour les petits Kanak, le problème est plus grave. Beaucoup ne parlent plus la langue de chez eux. Or, c’est avec la langue que tu comprends la signification des gestes. Les enfants disent « coutume » en français, mais ils ne savent plus ce que ça signifie. Il y a toute une éducation à faire. » En espérant que l’enseignement LCK se pérennisera au collège de Koumac, et que les enfants de toutes les communautés conteront un jour, à leurs aînés, l’histoire d’un seul et même pays. n 50 LA CONTEUSE DU PAYS Texte et photo : Guillaume Berger

RkJQdWJsaXNoZXIy MjE1NDI=