Femmes : Novembre 2015

TRANCHE DE VIE MON CORPS, CET ENNEMI Je n’ai jamais été très à l’aise dans mes baskets. Mais mon estime personnelle s’est quasiment envolée durant les six années qu’a duré ma relation avec mon ex. Léon était très jaloux, et ses mots souvent blessants, voire rabaissants. Il me disait par exemple, en parlant de ma mère qui souffrait d’obésité : « Je te quitte si tu deviens comme elle ! D’ailleurs, fais attention, tu commences à prendre des fesses… » À cause de lui, j’ai commencé à souffrir de dysmorphophobie. Malgré mes 48 kilos toute mouillée, je me voyais énorme. Je focalisais particulièrement sur mes cuisses et mes bras, et me ruinais en crèmes amincissantes. Ce qui n’a pas empêché Léon d’aller voir ailleurs. Le comble ? Il m’a trompée avec une fille pesant facilement 10 kilos de plus que moi ! Cette baffe aurait dû m’enlever mes œillères… Mais des années de bourrage de crâne ne s’oublient pas en un claquement de doigts. À nouveau célibataire, je me trouvais plus grosse que jamais. Je ne voyais vraiment pas comment un autre homme pourrait un jour s’intéresser à moi. Bref, cette rupture n’avait fait que renforcer mon dégoût pour mon corps. Jusqu’à un certain jour… J’étais séparée de Léon depuis quelques mois lorsque j’aperçus, sur un tableau d’affichage à l’université, une annonce pour un atelier proposant d’apprendre à accepter son corps en posant nu. Personnellement, j’avais déjà dessiné des modèles vivants, mais poser moi-même devant un groupe, jamais je n’aurais osé ! J’eus pourtant envie d’essayer, me disant que ce serait une bonne façon de me réapproprier mon corps et de me libérer de mon ex qui n’aurait jamais accepté ça. Je me lançai donc un défi colossal. Serai- je capable de le relever ? D’exhiber mon corps « difforme » à la face d’inconnus ? En me présentant à l’atelier, j’étais vraiment anxieuse, presque dans un état second. Aujourd’hui, avec le recul, je réalise à quel point la situation devait être comique. Mais ce jour-là, je me suis demandé : « Et si c’était une mauvaise blague ? » J’ai cessé de respirer quelques secondes, le temps de compter jusqu’à trois, puis j’ai enlevé mon peignoir. Je me souviens avoir cherché à couvrir ma poitrine et mon ventre avec mes bras, étant d’abord très mal à l’aise. Puis, progressivement, je me suis habituée. Au bout d’un moment, je me sentais même paisible, un peu absente, comme si je méditais. J’ai apprivoisé les regards que les gens – surtout les hommes – posaient sur moi. J’ai réalisé qu’ils n’étaient pas là pour me juger, mais pour tracer des lignes sur du papier. À la fin du cours, quand j’ai regardé les dessins des étudiants en art, je me suis vue à travers leurs yeux et me suis trouvée belle. Ça m’a fait un bien fou ! Non, je n’étais pas obèse ou difforme. J’étais juste un petit bout de femme, avec des fesses, des cuisses et des seins. Et le tout était même plutôt harmonieux. Depuis, j’ai appris à aimer mon corps et ses petites imperfections. Et ce n’est pas Pierre, mon nouveau chéri, qui s’en plaint ! n 31 © Thinkstock

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