Femmes | Mars 2022

Dossier 15 encouragent l’exhibition de soi la plus outrancière et la plus décomplexée, à la manière d’un ado qui met ses baskets sur la table… Dans ces conditions, celui qui n’a pas dit « merde ! » à ses parents paraît suspect, un tantinet lâche, mou, conformiste. « Il arrive même qu’on lui prédise une crise plus tard, en milieu de vie, quand toute cette violence refoulée resurgira de son inconscient, c’est un peu exagéré ! » souffle Daniel Marcelli. Car les psychiatres et les psychanalystes sont formels : la crise d’adolescence, dans sa forme tapageuse, n’est pas une étape obligée dans la vie. « L’adolescence est d’abord un phénomène physiologique : elle correspond à la puberté, un moment où le corps se transforme, où l’enfant devient un adulte, rappelle Philippe Jeammet, professeur de psychiatrie et spécialiste de l’adolescence. Le jeune qui traverse la puberté s’interroge, fatalement, sur quantité de sujets, il remet en question ses parents, les valeurs qui lui ont été transmises. Il s’agit pour lui de s’approprier sa subjectivité, sa capacité de désirer, de parler en son nom. Cela se traduit forcément par une crise psychique interne, mais ça ne veut pas dire qu’elle sera extériorisée. » En d’autres termes, si chacun d’entre nous vit, à cette période-là, une crise en son for intérieur, celle-ci ne se manifeste pas forcément de façon « bruyante » et « comportementale » (ce qui pourrait être la bonne définition de la crise d’ado). Marine, 38 ans, en est une parfaite illustration. Elle n’a pas insulté sa mère ou ses profs, mais elle avoue un certain malaise physique : elle se trouvait trop maigre, empotée, moins belle que les autres. Autant de signes d’un inévitable flottement intérieur lié à cet âge, mais qui n’a aucunement eu besoin de prendre l’apparence d’une attitude « dégoûtée de la vie » ou d’un conflit ouvert avec ses parents. Une crise de parents ? Comme toutes les personnes que nous avons rencontrées, la jeune femme explique aussi que son père et sa mère se montraient très compréhensifs, sans jamais être laxistes. Une ambiance familiale harmonieuse, des parents qui sont à l’écoute, serait-ce la clé ? « À partir du moment où vous avez un environnement relativement équilibré, où l’on arrive à parler, à échanger, malgré les problèmes inévitables, il n’y a pas de raison que la crise d’adolescence prenne une dimension tapageuse, note Daniel Marcelli. La violence contre soi-même ou contre les autres vient souvent du fait que la parole ne fonctionne plus, quand on se trouve dans un climat de très médiocre compréhension, d’empathie basse. » La révolte contre les parents serait-elle alors l’expression d’une crise à l’intérieur de la famille, voire d’une crise des parents eux-mêmes ? Il importe de ne pas généraliser. « Au sein d’une famille, un enfant va connaître une adolescence très mouvementée, tandis que son frère ou sa sœur, qui ont un ou deux ans d’écart, vivent les choses de manière apaisée. Ils grandissent pourtant dans la même ambiance », nuance Marie Rose Moro. Une adolescence sage ou rebelle n’est pas uniquement le reflet du climat familial. Elle résulte aussi d’éléments très personnels qui remontent à la petite enfance. Si, par exemple, un individu a eu, dans ses jeunes années, l’impression d’avoir été moins aimé qu’un frère ou une sœur, cette blessure pourra resurgir plus tard. Pas de bruit, pas de problème ? On pourrait donc croire que l’adolescent docile, sans révolte, est forcément un être sans problème. Pourtant, tout n’est pas rose chez ceux dont la puberté a ressemblé à un long fleuve tranquille. Surtout quand celle-ci a pris des allures de mer calme. « Chez certaines personnes, on constate un conformisme excessif, voire une pathologie conformiste, qui peut inquiéter, explique Philippe Jeammet. Il s’agit de personnalités très effacées, très craintives, qui ont fait tout ce que leurs parents leur demandaient parce qu’elles avaient peur de déplaire, parce qu’elles ne se sentaient pas dans un climat suffisamment rassurant pour s’exprimer. La présence d’un parent très malade ou en dépression grave peut aussi conduire un enfant à se refermer sur lui-même. » En psychiatrie, cette absence totale de révolte a un nom, l’« adolescence blanche », et peut se traduire à l’âge adulte par des phénomènes de décompensation, des dépressions plus ou moins graves. Après avoir eu la «bonne

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