Femmes Décembre 2021

Dossier 13 tu ne m’as pas demandé ? Tu ne veux pas rester quelques jours de plus ? » Et reprend : « Nos parents se soucient, ils voudraient toujours mieux pour nous. Et il leur est difficile de trouver le juste équilibre entre nous soutenir et nous laisser respirer. » Juliette Allais abonde : « Nos relations avec nos parents sont nécessairement conflictuelles car nous sommes pris entre des forces contraires. L’une, centripète : l’attraction du clan familial qui voudrait nous garder auprès de lui ; l’autre, centrifuge : l’aspiration vitale à nous en émanciper pour construire notre propre existence. » Rien de bien grave, à condition d’en avoir conscience. Des scénarios répétitifs Les choses se compliquent quand, à la sollicitude pesante des parents, s’ajoute la pression de « leurs inachevés », comme les appelle Juliette Allais : tous leurs renoncements, ce qu’ils n’ont pas reçu, ce qu’ils auraient aimé accomplir. Leur amour envers nous est alors pétri de contradictions : tu feras ce que tu voudras, sauf tel métier, sauf épouser telle personne, parce que cela me remet trop en question. « Elles sont rares, les familles où on laisse les gens être euxmêmes, affirme la thérapeute. Cela demande une grande maturité. Nous savons que nos enfants ne nous appartiennent pas, mais il n’est pas si facile de les regarder grandir sans attendre d’eux qu’ils nous réparent, nous consolent, nous valorisent. » Si bien que « lorsque les familles se retrouvent, elles jouent des scénarios répétitifs », indique Samaï Fossat, formatrice en constellations familiales et systémiques. Les parents formulent inconsciemment toujours les mêmes demandes aux enfants qui, même devenus grands, leur adressent les mêmes reproches – en gros, « Ne me déçois pas » versus « Tu ne m’as jamais accepté ». « Je ne connais pas d’adultes, observe Bruno Clavier. Je ne vois que des enfants améliorés, avec leurs blessures et leurs réactions infantiles. Surtout à Noël… ». Des rôles complémentaires Souvent, les conflits éclatent quand des changements se produisent dans la vie des enfants. « Quand ils font des choix – divorcer, changer de métier – qui les écartent de l’idéal projeté sur eux. Et que ces choix s’affichent devant la famille rassemblée », constate Juliette Allais. Alors, souvent, l’un des parents coince : « Qu’est-ce que j’ai fait ? Est-ce qu’il (mon fils) est normal ? Est-ce qu’elle (ma fille) est heureuse ? Est-ce que c’est de ma faute ? », tandis que l’autre essaie de tempérer. « Il faudrait pouvoir s’interroger : où est-ce que ça vient me chercher ? Qu’est-ce que ça me fait travailler ? Comment préserver le lien avec mon fils, ma fille ? » précise la praticienne. Au lieu de cela, le groupe familial résiste, dans le but de retrouver sa configuration initiale. Homéostasie : le terme désigne la capacité d’un organisme à maintenir son équilibre. « Il permet d’expliquer que des critiques s’expriment en vue de dissuader le changement, que des alliances se créent (avec les beaux-enfants, les petits-enfants…) afin d’évincer les gêneurs, que chacun endosse des rôles complémentaires (le mouton noir, le sauveur…), ou encore que des loyautés perdurent de génération en génération », assure Bruno Clavier. C’est le fils dont l’alcoolisme sert à exprimer la souffrance non formulée du père, la fille qui se rebelle pour venger les femmes sacrifiées de sa lignée, celle qui fait un enfant seule pour remplacer celui perdu par sa mère ou sa grand-mère… « Inconsciemment, nous sommes tous les thérapeutes de nos parents, poursuit

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