Femmes | Novembre 2021

« Ni unidimensionnelle ni figée, elle est en réalité constituée de plusieurs images de soi qui s’élaborent à partir de la sensation de soi et du regard de l’autre », précise-t-elle. Lorsqu’elle essaye un maillot, Manon, 36 ans, entend la voix de sa mère : « Rentre le ventre, tiens-toi droite ! » Elle confie : « Et ce n’est rien à côté de ce que j’imagine comme réflexions sur mes cuisses ou mes seins quand je me lève pour aller nager avec mon mari surfeur, mince et bâti comme un dieu ! » La plage, le nouveau tribunal Si les imperfections, réelles ou supposées, se dissolvent miraculeusement sous un regard amoureux, elles peuvent devenir très douloureuses sous celui de parfaits inconnus. « L’enfer, c’est les autres », a écrit Sartre, mais ne serait-ce pas plutôt ce que l’on imagine de leur regard ? « Tout dépend de son capital de confiance personnel , constate Catherine Blanc. Plus il est important, moins on sera dans la dépendance du regard de l’autre, et moins on imaginera l’œil jugeur, désapprobateur ou moqueur. Je reçois des jeunes femmes absolument magnifiques qui, pourtant, vivent l’enfer malgré un physique parfait ! Cela dit, même si tout dépend de l’histoire de chacune, il faut reconnaître que les critères esthétiques de notre culture déforment totalement le regard que l’on porte sur soi. » Isabelle Queval, philosophe spécialisée dans les représentations contemporaines du corps, constate que la silhouette performante – mince, ferme, jeune – est plus que jamais la représentation idéale. « Le vêtement s’acquiert, mais le corps, lui, se conquiert, et de haute lutte. Notre culture est lipophobe, la haine du gras est partout, masquée par des discours sur la santé, illustrée dans la publicité ou la mode par une minceur sèche, athlétique. Rien d’étonnant dans le fait que celle qui se retrouve face à son corps de mère, à ses formes de femme se sente disqualifiée avant même d’avoir posé un pied sur le sable. » Avec ou sans bourrelets L’été dernier, Sabine, 37 ans, a eu le déclic qui a sérieusement mis ses complexes en veilleuse : « Nous faisions un pique-nique avec des amis à côté d’autres personnes. Elles étaient une dizaine, à rigoler, à parler fort et à faire des jeux. Toutes les femmes étaient rondes et en bikini coloré, et pourtant elles avaient la quarantaine. Elles dégageaient tellement de joie de vivre et de sensualité que nos maris avaient du mal à se concentrer sur leurs sandwichs ! Ce jour-là, j’ai eu la conviction quasi physique que c’était ça le vrai. La vérité des corps, leur beauté, ce n’est pas la perfection des formes, mais la vitalité qu’ils dégagent. Le lendemain, je laissais tomber mon une-pièce pour un deux- pièces ! » Claudia Gaulé tient le même discours. « Se visualiser sur la plage non comme sur un podium, mais comme dans un lieu de plaisir, de liberté, puis le vivre de cette façon lorsque l’on y est, en sortant de son mental, voilà ce qui libère en profondeur ! Au lieu de déplorer son tour de cuisses ou ses bourrelets abdominaux, si l’on prenait l’habitude de faire régulièrement une pause, juste pour ressentir, et se dire “Je savoure ce moment unique qui ne reviendra plus”, alors on vivrait son corps de manière différente. » Reste à adoucir son regard sur soi. Un exercice à la portée de tous. Psycho 24

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