Femmes Mai 2021

Pour Freud, en effet, tandis que la menace de la castration oblige le petit garçon à se détourner de son premier objet d’amour, la fille lui demeure inconsciemment liée sa vie durant par le ressentiment : jamais elle ne lui pardonnera de l’avoir mise au monde « si mal fournie », c’est-à-dire sans pénis. Et jamais elle ne renoncera à obtenir de sa mère une compensation que celle-ci ne peut pas lui donner…Cette dernière, de son côté, attend elle aussi de son enfant qu’elle la répare. « Lorsqu’elle rêve sa fille, elle se recommence elle-même, elle renaît, elle repart de zéro », écrit la psychanalyste québécoise Doris-Louise Haineault 2 (cf P16). Les plus abîmées d’entre elles, celles que leur propre mère a « envahies, anéanties, asservies (et) dont le psychisme a été mortellement atteint », s’acharneront à maintenir leur fille sous emprise, leur demandant de leur donner tout l’amour dont elles ont besoin pour survivre, en échange de quoi elles obtiendront leur présence protectrice pour l’éternité. Un “pacte faustien” Ce « pacte faustien », explique Doris-Louise Haineault, condamne la jeune fille à développer un faux self (une fausse identité destinée à séduire la mère pour freiner son hémorragie narcissique) et l’empêche de vivre sa propre vie. Elle « voit sans cesse s’écrouler ses espérances d’affranchissement, poursuit-elle, butant contre les critiques et les sarcasmes maternels ». Son sort est de survivre pour assurer la survie de sa mère. Àmoins qu’elle ne trouve la ressource de conquérir en thérapie sa véritable identité, au risque de rompre avec elle. « C’est cette conquête vitale qui est à l’œuvre pour nombre d’adolescentes qui arrivent aux urgences après une tentative de suicide », analyse Sonia Prades. Une manière d’adresser à leur mère ce message paradoxal : « Laisse-moi m’envoler, mais ne m’abandonne pas. » Fort heureusement, les relations entre une mère et sa (ses) fille(s) ne sont pas toutes traversées par ces forces obscures. La présence du père (ou d’un homme) à leurs côtés contribue grandement à minimiser les risques d’emprise. Malgré d’inévitables frictions et des moments de plus ou moins grande proximité selon les âges, les deux générations témoignent pour beaucoup d’une relation dans laquelle tendresse et bienveillance l’emportent sur les agacements. Dossier Psycho 14

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