Femmes Mars 2021
8 Psycho L e besoin de changer procède le plus souvent d’un mal-être. Ce que nous avons construit ne nous satisfait plus. Notre existence semble s’être rétrécie, l’ennui s’est installé, ou bien le sentiment d’être prisonniers d’un fonc- tionnement, d’une situation que nous aimerions pouvoir transformer. Comment ? Chacun a son idée : changer de métier, arrêter de fumer, perdre du poids, changer de coiure, oser aimer, se séparer, qui¥er la ville, s’installer à l’étranger, se me¥re à son compte, aller voir un psy, débuter une formation… Changer un peu ou changer tout, l’envie s’exprime individuel- lement, collectivement : il est question aujourd’hui de changer d’économie, de société, de paradigme. Elle implique, dans une certaine mesure, de se dé- gager du connu, de se séparer d’une part de soi. « La tâche , écrivait le psychanalyste J.-B. Pontalis, est aussi douloureuse qu’inéluctable et même nécessaire pour qui ne consent pas à rester sur place et que porte le désir d’avancer. » (in Le Dormeur éveillé , Gallimard, Folio, 2006). Pourtant, nous avons parfois du mal à reconnaître ce changement, à nous l’autoriser, à l’accueillir. À quoi correspond-il ? Sommes-nous d’éternels insatisfaits, d’incorrigibles utopistes ? Pou- vons-nous réellement changer ? Un refus inconscient Le psychiatre et psychothérapeute Christophe Fau- ré, dont le récent ouvrage Maintenant ou jamais ! a été couronné par le prix Psychologies-Fnac, s’est intéressé à la transition du milieu de la vie. Chez nombre de ses patients, il a constaté, généralement entre 45 et 60 ans, mais aussi parfois plus tôt, la survenue d’un moment de tristesse et de confusion semblable à une dépression. Sans que rien ne puisse vraiment le justifier, leur vie semble avoir perdu de son sens. Pour l’avoir éprouvé lui aussi, Christophe Fauré décrit ainsi le sentiment qui domine : « Tout se passe comme si l’identité que nous nous étions construite dans la première moitié de notre vie ne correspondait plus à la personne que nous sommes en train de devenir. » Il explique ce décalage comme la manifestation de ce que Carl Gustav Jung appelait le « processus d’individuation », une expérience psychique à laquelle aucun de nous n’échappe : il s’agit de devenir enfin qui nous sommes profondé- ment, de laisser advenir le sujet qui, dans l’enfance et dans les premiers temps de construction de sa vie d’adulte, a d’abord appris à se réprimer pour se conformer à ce qui était a¥endu de lui. Ce¥e transition peut être subtile et progressive, ou nous déséquilibrer brutalement, aectant nos vies amou- reuse, familiale, professionnelle. Cependant, assure le psychiatre et psychothérapeute, « ce n’est pas tant le processus intérieur de transition qui pose problème que le refus, conscient et inconscient, d’accueillir les changements qui se profilent ». Il faut au contraire accepter ce¥e phase comme une promesse d’épa- nouissement et se donner les moyens d’exprimer ses potentiels en écoutant ses envies. Or, dans l’époque « maniaco-dépressive » qui est la nôtre, notre espoir légitime d’un avenir meilleur se heurte à l’angoisse générée par le sentiment d’un eondrement global du monde. Nous avons ainsi tendance à minimiser nos insatisfactions dans l’idée qu’elles ne sont que des états d’âme de privilégiés par rapport aux di²- cultés que vivent d’autres, plus durement touchés par la crise, les catastrophes écologiques, la maladie ou la guerre. Notre projet individuel de changement entre en concurrence avec l’idée que l’urgence est d’abord de changer le monde, une tâche si complexe et colossale qu’elle inhibe notre puissance d’agir.
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