Femmes Octobre 2018
après. Plus tard, son enseignante de français va, sans le savoir, enfoncer le clou de la passion : « Je devais rattraper une note car j’avais été absente. La prof a alors eu l’idée de me faire jouer une scène. C’était aussi, pour elle, une façon de me faire sortir de ma coquille », explique celle qui a toujours été « la fille réservée du fond de la classe ». D’abord tétani- sée, la lycéenne s’est vite prise au jeu. « Je ne voyais plus le public, je me sentais dans mon personnage, dans ma bulle », se souvient- elle. L’enseignante encourage ce talent naissant et, au fil des semaines, fait travailler d’autres textes à Ornella. Jusqu’à ancrer en elle le début d’une vocation. « Avec le théâtre, je pouvais dire des choses que je n’aurais pas pu dire dans ma famille. Je me suis dit que ce serait bien d’en faire mon métier », raconte-t-elle. C’est ainsi que, guidée par sa prof, la jeune fille interrompt son année de ter- minale – elle passera le bac par correspondance en juin prochain – pour tenter le concours d’entrée dans la classe préparatoire de Li- moges. Avec succès. De son côté, Laurence, malgré plusieurs années d’expérience du jeu théâtral, avait le sentiment d’« être au bout de ce que la Nouvelle-Calédonie pouvait [lui] apporter ». Elle avait besoin d’« avancer », de s’ouvrir à d’autres horizons théâtraux. Avec des objectifs différents – consolider son savoir pour l’aînée, faire ses premiers pas pour la ca- dette – Laurence et Ornella sont ravies de pouvoir compter l’une sur l’autre dans cet exil. « On est loin de chez nous, on se comprend, on se réconforte. Avoir la même culture, ça aide », convient Laurence. Bien sûr, la vie en Métropole, « c’est pas évident tous les jours », même si les deux élèves reconnaissent qu’elles sont « plus à l’aise à Limoges que dans une grande ville comme Paris ». Pour ensoleiller les jours de blues, Héloïse Belloir, coordinatrice de la formation, a trouvé une astuce : « Je les ai emmenées dans un su- permarché exotique. Ignames, taros… elles ont pu retrouver les produits de chez elles qui leur man- quaient ! », se réjouit-elle. Car l’exil pourrait être amené à durer : à l’issue de cette année, Ornella et Laurence tenteront les concours d’entrée dans les écoles supérieures d’art dramatique *. Pour elles deux, le souhait est déjà formulé : intégrer l’école profes- sionnelle supérieure de théâtre du Limousin… à Limoges, puis rentrer diplômées en Calédonie. « Moi, j’aimerais une carrière comme celle de Marithé Siwene, que j’admire beaucoup », dévoile Ornella. Laurence, de son côté, voit grand : « Ce qui me plairait, c’est de transmettre. Monter une troupe de jeunes Kanak. Moi, avant, je pen- sais que le théâtre, c’était pas pour nous, que c’était pour les Blancs. On se l’interdisait. Les temps ont changé. » Anne-Sophie Douet / ALP *Il en existe treize en Métropole.
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