Femmes : Avril 2017

62 Illégale depuis 1960, la prostitution est malgré tout très répandue en Thaïlande. Argent facile, fête, vie “de luxe”... Immersion dans l’univers de femmes qui ont fait ce choix de vie, animées par l’ignorance, par l’appât du gain, ou vendues à des réseaux mafieux parfois par leur propre famille. Un monde où le libre arbitre n’est plus toujours un inconditionnel... Grand angle Bonbaiser d'Isan La prostitution en Thaïlande est officiellement interdite. Au dire de la monarchie, elle n’existerait même plus au Pays du sourire. Cependant, selon un rapport d’Amnesty International, l’argent de la nuit — dont la prostitution — représentait encore fin 2015 environ 10 % du PIB de la Thaïlande. La Thaïlande est un peu à l’Asie du Sud-Est ce que les États-Unis sont au monde. Dans cette région du globe, elle passe pour être une super-puissance comparée aux voisins que sont le Cambodge, le Myanmar ou encore le Laos. À l’intérieur du royaume, il existe pourtant de fortes disparités entre les régions. L’Isan, au nord-est du pays, fait presque figure de terre maudite. À l’écart des sentiers touristiques, on y rencontre des gens d’une extrême pauvreté. Confrontée à des difficultés économiques, sociales, sanitaires et démographiques, cette région est aussi aux prises avec des groupes mafieux, constitués sur des bases claniques et appuyés par des milices qui se partagent le trafic de femmes. Le faible niveau d’éducation des filles de cette terre et des pays limitrophes, lié à la pauvreté des familles, en font des proies faciles pour ces réseaux. Des filles sacrifiées Le sacrifice des filles, une tradition bien ancrée en Thaïlande où un système de dot est encore en place, ne va pas contre la culture locale et reste donc rentable. Les filles sont un bien meilleur investissement que les projets touristiques ou l’agriculture. Travailler la terre donne aux gens de l’Isan une respectabilité face aux citoyens urbains éduqués, mais les gens du nord-est eux-mêmes déconsidèrent leur travail et veulent autre chose pour leurs enfants (le miroir aux alouettes du développement). Nombreux alors sont les parents à faire semblant de ne pas voir la réalité et comme l’explique Jacques Ivanoff dans son article Construction ethnique et ethno régionalisme en Thaïlande, (Carnet de l’IRASEC n°13, 2010). « On accepte que les filles Isan soient associées à la prostitution et qu’elles aillent “travailler” en ville ou dans les centres touristiques. Ou, dans le meilleur des cas, qu’elles se sacrifient en se mariant avec des Occidentaux pour le bien de leur famille ». Envoyer sa fille cadette “travailler en ville” est une pratique qui s’est développée et est devenue un apport économique conséquent. Il existe même un marché aux filles en Isan. Contrôlé par la mafia, il est impossible de s’y rendre sans y avoir ses entrées… Beaucoup de familles d’Isan ne doivent leur survie “économique” qu’à l’argent envoyé par leurs filles. De nécessité, la prostitution est devenue un signe de réussite et de prestige. La prostitution pour vivre décemment On aimerait croire que le tourisme sexuel n’est pas une fatalité, mais il est devenu une industrie puissante et florissante, présente Texte et Photos : Aude-Émilie Dorion Dans l'actuel débat sur la prostitution et l'industrie du sexe, il existe, pour le moment, un grand absent : le client.

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