Contruire Août 2020
CONSTRUCTION Focus métier 43 comme un alambique. Je prends la matière première, celle que les gens veulent bien me donner, et je la distille avec ma propre sensibilité, ma propre poésie, afin de rendre un projet que j’espère être à la hauteur des personnes qui me l’ont confié, explique la spécialiste . Je veux que le projet soit le reflet de leur âme, de leur histoire. Je veux construire avec les gens car ce sont eux qui utiliseront les bâtiments. » Construire avec le lieu. Construire avec les gens. Mais avec des contraintes, aussi. Surtout lorsque Ka- rine Demortier répond à des appels à projets concernant un aérodrome ou une station-service. «Ce sont des bâtiments fonctionnels, les contraintes – desiderata du maître d’ouvrage, budget, techniques, matériaux… – c’est le contenant. Cela ne m’empêche pas de prendre des libertés, il ne faut pas avoir de schémas préconçus. Il est là le challenge. » L’architecte sait de quoi elle parle. Elle a réalisé par exemple la station-service de Baco, à Koné, ou celle d’Apogoti, à Dumbéa. Dans les deux établissements, on trouve une vraie inspiration issue du monde kanak : «La culture mélanésienne offre des savoir- faire, des danses, des contes…, elle est tellement riche ! » Utilisation de bois et de béton de terre, halles élancées et ouvertes, impressions dans les murs… «Le génie du lieu» a clairement marqué les dernières réalisations de Karine Demortier. Un des derniers projets d’ampleur : le siège social du FSH (voir p. 4). Ici, ce n’est pas tant le lieu qui a inspiré son travail, mais le maître d’ouvrage. Et voilà un cagou aux ailes déployées qui protège ses petits. «UNE ERREUR EN BÉTON» Sur ce projet encore, Karine Demortier intègre des matériaux bruts, comme le bois et le béton de terre. Les architectes se doivent de se tenir informés de ce qui se fait en termes de matériaux de construction, innovants comme traditionnels. «Quand on sort de l’école, on sait que l’on ne sait rien, mais quand j’ai commencé à travailler, j’ai constaté que je devais encore et toujours beaucoup apprendre. » Chaque projet est une nouvelle aventure. L’occasion de tester de nouveaux process, de nouvelles matières. Tout en gardant à l’esprit la responsabilité qui pèse sur ses épaules. « Il faut beaucoup d’humilité, mais également une grande confiance en soi. Car nous avons une responsabilité énorme. Déjà de par la possibilité de décevoir les gens. Il faut aussi prendre conscience que ce que l’on construit va rester pour des décennies. Si le bâtiment n’a pas d’âme, qu’il ne parle pas aux gens, c’est qu’on s’est trompé. Et cette erreur, elle est en béton. » Mais si c’est une réussite, « l’une de mes plus belles récompenses, c’est que les entreprises qui ont travaillé sur un chantier soient fières de ce qu’elles ont fait » . Car un architecte n’est pas tout seul, c’est «un chef d’orchestre» qui travaille en équipe. «À chaque fin de chantier, j’organise un repas avec toutes les entreprises car c’est une œuvre commune. » Architecte est donc un métier riche, qui permet de rencontrer toutes sortes de © Karine Demortier Karine Féré Demortier aime travailler avec des matériaux bruts tels que le béton de terre ou le bois, comme ici, à la salle polyvalente de Yaté. personnes, d’aborder des dizaines de métiers différents, de laisser exprimer sa créativité. Malgré tout, Karine Demortier le considère comme «éprouvant, car c’est un métier créatif, on vit donc avec son projet. On dort avec. On est architecte 24 heures sur 24, quand on réfléchit, quand on se promène. » C’est un métier qui nécessite de maîtriser différents domaines techniques, administratifs, juridiques… mais aussi la communication. Car un architecte se doit d’expliquer sa vision, son point de vue, afin de faire passer ses idées auprès du public. «UNE SECONDE PEAU» Il est évidemment essentiel que les usagers se sentent bien dans le projet, puis, in fine, dans le bâtiment. «L’art de construire, c’est l’art de construire pour les autres» , répète Karine Demortier. Elle évoque alors l’un de ses professeurs en école d’architecture qui «avait une vision assez originale de la construction. Il l’appréhendait au travers de l’aura, du res- senti, du vécu» . Il faut qu’un bâtiment transpire les sensa- tions, transmette un sentiment. «Pour moi, un bâtiment, c’est une seconde peau. Il faut donc prendre soin de créer quelque chose où l’on va se sentir bien. » Lorsqu’elle cite des noms d’architectes dont elle apprécie le travail, Karine Demortier pense à Hassan Fathy, un Egyptien qui a réalisé plus de 160 projets, certains avec des techniques tradition- nelles à hauteur d’homme, pour les hommes. Mais égale- ment à Louis Kahn ou encore à Renzo Piano, Italien bien connu des Calédoniens car il a signé le centre culturel Tjibaou. «On a l’impression que le centre culturel a poussé ici, con- state Karine Demortier. C’est un arbre, et un arbre, pour qu’il pousse bien, a besoin de puiser dans le sol, et ce qu’il y a dans le sol, c’est son histoire, ses mythes…» n
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