Construire Octobre 2018
Par la SCP « LILLAZ, BURTET, COSTE & MOUGEL », Groupe Monassier Focus surla tontine immobilière Fonctionnement, risques et intérêts 86 PRATIQUE À votre service I ssu de la pratique notariale sans être consacré par la législation, le pacte tontinier, aussi appelé clause d’ac- croissement, est un dispositif méconnu car rarement mis en œuvre. Il prévoit, dans le cadre d’un achat immobilier en commun, que la propriété du bien sera seulement at- tribuée à celui des acquéreurs qui survit aux autres. Si la tontine est généralement conclue entre deux personnes, elle peut néanmoins concerner davantage d’intervenants. Instaurée en France au XVIIe siècle sur des valeurs mobi- lières, ce n’est que plus tardivement que la tontine s’est appliquée à des opérations immobilières, pour notamment permettre à deux personnes de regrouper leurs ressources leur vie durant, en s’assurant la jouissance commune d’un logement, et de prévenir l’éventuelle perte du bien après le décès de l’une d’elles. Tontine et notions voisines Si la tontine immobilière paraît ressembler à des notions juridiques voisines, elle ne constitue ni un démembrement de propriété, ni une indivision. En effet, du vivant des ac- quéreurs, ils disposent chacun des mêmes droits concur- rents sur le bien concerné. Il n’est donc nullement question que l’un en soit usufruitier, c’est-à-dire titulaire d’un droit d’usage et de jouissance, en même temps que l’autre en est nu-propriétaire. Dans un tel schéma, la pleine propriété du bien est automati- quement réunie au seul profit du nu-propriétaire en cas de décès de l’usufruitier, mais tous deux n’ont absolument pas vocation à exercer des prérogatives de même nature pendant la durée du démembrement. Pour autant, il ne s’agit pas non plus d’une indivision puisque aucun des tontiniers ne peut être admis à récla- mer en justice le partage du bien, en arguant d’une situa- tion de blocage ou de mésentente. Fonctionnement de la tontine L’essence même de la tontine réside sur le principe de l’aléa. Les acquéreurs doivent ainsi avoir une espérance de vie similaire et s’acquitter d’une partie du prix d’achat du bien dans des proportions équivalentes. À défaut, comme, par exemple, entre parents et enfants séparés par une grande différence d’âge, ou entre concubins dont l’un financerait beaucoup plus que l’autre, la clause d’accrois- sement pourra facilement être requalifiée en donation déguisée. Dans l’hypothèse où la tontine implique deux acquéreurs, celle-ci ne produira ses effets juridiques que lors de la sur- venance du décès de l’un d’eux. Le contrat est donc fondé sur un mécanisme de double condition : la première est ré- solutoire de prédécès, la seconde est suspensive de survie. En d’autres termes, l’entier droit de propriété est amené à rétroactivement reposer sur la tête du seul survivant. Tant que les deux tontiniers sont en vie, le bien acquis en ton- tine est réputé ne faire partie d’aucun de leur patrimoine respectif. Mais lorsque l’un décède, le bien est considéré comme n’étant jamais entré dans le patrimoine du défunt pour avoir toujours fait partie de celui de l’acquéreur sur- vivant. À ce titre, si la jurisprudence ne reconnaît pas d’in- division de propriété sur le bien objet d’une tontine, elle confirme, en revanche, l’indivision de jouissance entre les acquéreurs jusqu’à ce que la condition de prédécès de l’un d’eux se réalise. Par conséquent, la partie qui s’octroierait l’occupation exclusive du bien, en méconnaissance du droit de jouissance de l’autre partie, devra s’acquitter, auprès de cette dernière, d’une indemnité d’occupation compen- satoire. En outre, tout acte de disposition (transfert de propriété par vente, donation ou legs) ou tout droit réel (inscription d’hy- pothèque, constitution de servitude, mise à bail de longue durée, etc.) relatif au bien soumis à la tontine, requerra nécessairement l’accord unanime des acquéreurs pour être valablement consenti. C’est pourquoi il est important de bien appréhender les problématiques que pourrait soulever une situation de discorde entre des tontiniers, dans la mesure où tout acte majeur sur le bien supposera obligatoirement de réunir la volonté commune des deux propriétaires, sans aucune possibilité, contrairement à ce qui est permis en cas d’indi- vision ou de communauté conjugale, d’agir en justice pour sortir de la situation. La tontine, c’est un peu « la prison à vie ». Incidences fiscales de la tontine Malgré le fait que le bien ne soit pas juridiquement inclus dans le patrimoine successoral de l’acquéreur prédécé- dé, la tontine n’est pas soumise au régime des droits de mutation à titre onéreux mais à celui, plus coûteux, des droits de succession, lesquels seront alors à supporter par le bénéficiaire survivant. Ainsi, l’avantage de la tontine n’est pas tant lié à un intérêt fiscal : son utilité est plutôt d’assurer la protection du survivant, plus particulièrement lorsque l’acquisition s’effectue entre deux concubins ou deux partenaires pacsés, qui ne disposent pas des avan- tages juridiques applicables aux couples mariés. En effet, le bien, en ce qu’il n’aura jamais intégré le patrimoine du défunt, échappera aux règles de transmission liées à la quotité disponible et à la réserve des enfants. Dès lors, il s’agit d’une solution permettant de réduire la part d’héri- tage de ces derniers, de manière non excessive et légale lorsqu’elle est correctement organisée. n
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