Coco TV #1333
intellectuel de l’époque. Pour eux, c’est une autre Écosse que Cook avait en tête : la Calédonie mythique, celle des tribus celtes résistant à l’Empire romain. Cook n’en disait rien dans son journal, mais en cherchant davantage, j’ai découvert que Georg Forster, un des naturalistes qui l’accompagnaient, justifiait le choix du nom par « la nature et les dispositions calédoniennes » du peuple et son pays. Il désignait ainsi le contraste entre une terre aride et une civilisation aussi complexe qu’accueillante. Et ça changeait tout ! Le choix du nom, plutôt qu’une référence nostalgique à des paysages, était un hommage à ses habitants. Il avait été donné en quittant Balade, et non en « découvrant » les côtes… Il fallait donc relire le journal de Cook à la lumière de ces révélations, ce que j’ai fait avec les gens de Balade. C’est grâce à eux que le journal a pris sens, parce qu’ils pouvaient me renseigner sur tout ce que Cook manquait, ou ne comprenait pas. Sans leur participation, sans le soutien de la chefferie Pouma et du clan Boaxiwi, ces recherches auraient été vaines. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en plongeant dans le journal de James Cook et dans les autres écrits de l’époque ? Ce qui revient le plus, c’est son admiration et sa gratitude pour l’accueil que lui font les gens de Balade. Il y revient sans cesse, et même s’il ne comprend pas à quel point il est pris en charge par la chefferie, il s’étonne que tout soit si parfaitement organisé autour de lui. L’agriculture l’impressionne aussi : les tarodières, billons et canalisations déclenchent chez lui des envolées lyriques dont il est peu coutumier. On est donc loin des tribus frustes et constamment en guerre que les explorateurs et missionnaires ont décrites plus tard, et que l’histoire officielle a préféré retenir. « C’est la première phrase de notre histoire commune » qu’il faut réécrire nous dit votre documentaire... Quelle serait la bonne phrase finalement ? C’est à tout un pays de décider ça ! Ce que l’histoire peut apporter, ce sont des faits, des fragments dont les gens d’aujourd’hui se saisiront, ou pas, pour donner un sens à leur présent, et une orientation à leur avenir. Ce que je peux dire, c’est que, à partir de 1853, la légende de la ressemblance des côtes a initié un récit historique qui faisait la part belle aux figures d’explorateurs et de pionniers, en reléguant les Kanak à l’arrière-plan. Si l’on veut rééquilibrer ce récit, passer de celui d’une découverte à celui d’une rencontre, on doit commencer par dire quelle était cette civilisation qui occupait l’île depuis des millénaires. Après, on pourra toujours raconter l’arrivée de Cook, l’accueil généreux et confiant qui lui est fait, et l’hommage qu’il a voulu rendre à cette civilisation en choisissant, faute d’avoir découvert le nom autochtone de l’île, celui de New Caledonia . Caledonia, jeudi 16 septembre à 19h25 sur Caledonia. Rediffusion le dimanche 19 septembre à 16h. INFO Secrets de fabrication Après la diffusion du documentaire à 19h25, Caledonia prolonge la soirée. Jaimie Waimo s’entretiendra avec le réalisateur, Geoffrey Lachassagne, qui nous dévoilera les secrets de fabrication de ce film exceptionnel. « Pour eux, c’était un compliment » « Appeler ces gens “Calédoniens”, c’était leur rendre hommage, c’est un nom colonial, bien sûr, (…) mais curieusement c’est un compliment parce que Caledonia était le nom que les Romains avaient donné à un pays qu’ils n’avaient jamais pu soumettre, (…), ils n’ont jamais occupé ou colonisé l’Ecosse. Et les Ecossais du XVIII e siècle étaient très fiers du fait que leur pays n’ait jamais été envahi, contrairement à l’Angleterre, par les Romains. » Nigel Leask, chercheur en littérature, dans le documentaire Caledonia . Retour à Balade Avant d’être diffusé sur Caledonia, le documentaire a été présenté en avant-première aux coutumiers et à la population de Balade mi-août, en présence du Grand Chef et de la plupart des personnages qui apparaissent dans le film. « Les paroles données à la coutume de départ ont porté sur la satisfaction de voir que les récits oraux étaient respectés dans le film », raconte Ashley Vindin, le directeur général de Caledonia, présent à cette coutume. Le réalisateur Geoffrey Lachassagne – actuellement en France - n’a malheureusement pas pu assister à ce moment fort en émotions. « C’est très étrange d’être aussi loin au moment où le film revient à la maison », confie-t-il. Au Festival Anûû-rû Aboro Caledonia a été sélectionné pour être diffusé en ouverture du Festival Anûû-rû Âboro le 15 octobre prochain à Poindimié. D’autres séances seront prévues au cours de la semaine suivante. 6 C’est le nombre d’années de travail passées par Geoffrey Lachassagne sur ce documentaire. COULISSES 11
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